Lhaj ahmed Dahine est ostréiculteur de métier depuis plus de 50 ans. Il revendique non sans fierté, sa qualité de « spécialiste de l’huître » depuis l’âge de 18 ans. Le vieil homme nous raconte son métier et sa vie, Oualidia, première zone productrice d’huîtres au maroc.
A 70 km de la ville d’El jadida, est nichée Oualidia. Village de pêcheurs qui a grandi au fil des ans, Oualidia fait partie de ces coins du Maroc dont on ne parle pas beaucoup. Oubliée des projets économiques et sociaux, c’est une ville fantôme, est-on tenté de penser, quand on y arrive un jour de semaine. Les hommes sont à la pêche, ou travaillent dans les champs de betterave ou de tomates, les femmes sont à la maison et les enfants à l’école. Beaucoup de jeunes ont déserté la ville, pour aller à Casablanca ou à El Jadida. Ils ne veulent plus, eux, faire comme leurs parents. Ceux qui restent, sont là, au café, ou rasent les murs.
Pourtant, Oualidia a tous les atouts pour être une station balnéaire prisée. Une plage propre, l’une des plus belles lagunes du pays et un temps clément : elle ne l’est pas, l’infrastructure hôtelière y étant presque inexistante et les spots vantant les qualités touristiques du Maroc lui préférant Tanger ou Agadir. Mais la ville a ses fidèles. Des surfeurs, tombés sous le charme de ses vagues et qui viennent des quatre coins du monde, ou encore des marocains qui en on fait leur destination de prédilection, presque tous les week-end, dès que le temps s’adoucit. Ceux-là préfèrent les maisons de l’habitant, en bord de mer, aux quelques hôtels de la ville. Cela revient moins cher et surtout, cela est plus convivial.
c’est en bord de mer, assis au restaurant qu’il fournit en huîtres, que nous avons croisé un natif de la ville. Jamais il ne l’a quittée, depuis sa naissance il y a 70 ans ou plus, il ne sait pas vraiment. Lhaj Ahmed Dahine est d’abord très méfiant. Il n’est pas habitué à ce que des journalistes viennent lui poser des questions « allez voir mon patron, moi je n’ai rien à vous dire, d’ailleurs, je pars en voyage », répond-il d’emblée, les sourcils froncés. Il faudra alors lui expliquer qu’il est un peu la mémoire de cette ville et qu’il est dommage de ne pas en parler. Tout à coup nostalgique, il renchérit : « quand j’étais plus jeune, Oualidia était un village où tout le monde ou presque vivait de sa pêche quotidienne ». Non, Lhaj n’a jamais fait d’études et depuis plus de 50 ans, il exerce le même métier : « j’ai appris un peu le français et le calcul grâce à un vieux français, qui est mort aujourd’hui. C’est pour lui que j’ai travaillé dès l’âge de 18 ans, puis pour son fils aujourd’hui ». A 18 ans, Lhaj Ahmed travaille pour le premier parc à huître au maroc. C’est son premier job, celui qu’il gardera jusqu’à aujourd’hui. C’était en 1951, quand des français se sont rendu compte que la lagune de Oualidia se prêtait parfaitement à l’élevage des huîtres : « Pendant la colonisation, les français importaient les huîtres du Portugal pour Noël et les fêtes de fin d’année, raconte Lhaj, puisqu’il n’existait pas de parc au Maroc. Puis ils se sont rendu compte que ces huîtres venues d’ailleurs pouvaient contenir des produits toxiques et ils ont arrêté d’en importer. C’est de là qu’est venue l’idée de créer des parcs à huître à Oualidia », raconte Lhaj.
Non sans fierté, il énumère les qualités de la lagune de sa ville : « ce n’est pas pour rien qu’on ne peut faire l’élevage d’huîtres que dans cette lagune. Son eau est pure, sa température est parfaite ». Après le départ des français, il y a eu moins de travail, « les marocains à l’époque, ne consommaient pas les huîtres ». Il faudra alors attendre les années 70/80, et le retour de bon nombre de marocains qui ont fait leurs études à l’étranger pour que l’activité reprenne : « aujourd’hui, affirme-t-il, très convaincu, 70% des marocains consomment des huîtres ». Difficile de lui faire changer d’avis : vu le prix, les huîtres sont un produit de luxe au Maroc : « Pas du tout, répond Lhaj vexé, c’est vrai que nous exportons les huîtres à l’étranger, mais la quasi totalité est acheminé vers les villes marocaines. En allant à Essaouira, tous ceux qui passent par Oualidia s’arrêtent chez nous pour manger des huîtres », insiste-t-il.
Aujourd’hui, Lhaj n’est plus un simple technicien. Il est le gérant du parc à huîtres où il avait commencé à travailler il y a 52 ans. a l’époque, il gagnait 3 DH par jour : « un très bon salaire alors. D’ailleurs, c’est avec ce salaire que je me suis marié et que j’ai eu des enfants ».
Maintenant, il supervise le travail d’une douzaine d’hommes, durant toute l’année : « et même plus, parce que nous avons parfois besoin d’intérimaires ». Dès qu’il s’agit d’ostréiculture, Lhaj se lance dans des explications sans fin. C’est un spécialiste de l’huître, et il en est fier. il explique alors que c’est en France que sont importés à Oualidia les naissains (les oeufs qui vont donner plus tard des huîtres), fixés à des chapelets de coquilles Saint-Jacques. Ils sont alors placés dans la lagune, à une profondeur et une température idéales : « Il faut alors enlever les naissains morts, espacer les autres pour leur permettre de grossir. Et pendant un an ou deux, nos techniciens les protègent des étoiles de mer et d’autres poissons susceptibles de les dévorer. Plus tard, il faudra alors les séparer des coquilles Saint-Jacques, les mettre dans des casiers et les laisser encore pousser une année ou deux. C’est un travail de longue halène vous savez. Quand on dit qu’on s’en occupe comme de nouveaux-nés, ce n’est pas un vain mot ».
Avant la consommation, l’acheminement vers d’autres villes ou l’exportation, les huîtres sont d’abord lavées, calibrées et épurées dans un laboratoire à Oualidia. Et cela aussi, c’est Lhaj qui y veille. Quand on évoque les mois en « r », période en dehors de laquelle, il ne faut pas consommer d’huîtres, lhaj sort de ses gonds : « Je connais bien mon travail et je vous dis que tout cela est une légende. C’est peut-être valable à l’étranger, mais à Oualidia, nous avons les meilleurs huîtres, consommables à volonté toute l’année. La preuve, c’est que pour nous le travail ne s’arrête pas et que nous produisons jusqu’à 4000 huîtres par jour et ça quel que soit le mois ».
Aujourd’hui, le parc 007 où travaille Ahmed Dahine n’est plus le seul à Oualidia. Quatre autres produisent des huîtres, en plus de palourdes, de bigorneaux ou d’oursins. Lhaj, examinant une huître, soupire : « Mes enfants ont fait des études, ils ne veulent pas de ce métier. Ils disent qu’ils ne veulent pas travailler pour les autres. un seul de mes fils travaille avec moi au parc aujourd’hui. C’est lui qui me remplacera, quand je serai plus vieux. C’est lui qui prendra ma place », conclut-il, toujours avec le même air de fierté mal cachée.
Maria Daïf – Telquel du 07 au 13 juin 2003