Entretien avec le Consul Général de France à Casablanca

« Une femme de la France profonde, qui vient à El Jadida, à la rencontre du Maroc profond ». C’est en ces quelques mots qui en disent long sur son profil que nous a été présentée Mme Corinne Breuze, nouveau consul général de France à Casablanca, installée depuis le 14 août dernier dans son nouveau poste.
Encore sous le charme d’un pays qu’elle n’avait jamais connu auparavant, Mme Corinne Breuze qui est à sa deuxième visite à El Jadida, n’a pas manqué de s’imprégner des couleurs locales, en rencontrant à titre amical et au-delà de toutes officialités, différentes composantes de la société jdidie.
Comité de jumelage Sète-El Jadida, Association de la zone industrielle d’El Jadida (AZIJ), Association des PME/PMI et représentants de la presse nationale, tous, ont pu apprécier à leur juste valeur, les propos d’une diplomate chevronnée qui se veut déterminée à contribuer efficacement au renforcement de la coopération franco-marocaine dans tous les domaines.
Et c’est dans la foulée que Mme Corinne Breuze a bien voulu répondre à nos questions.

Q : Vous êtes à votre deuxième rencontre avec les autorités provinciales d’El Jadida, pouvez-vous nous dire autour de quels axes se sont articulés ces séances de travail.
R : Effectivement, je suis venue la première fois à El Jadida, le 5 novembre dernier dans le cadre d’une visite de courtoisie. Je venais d’arriver au Maroc que je n’avais jamais visité même en tant que touriste, d’où cette prise de contact, au cours de laquelle le précédent gouverneur m’avait dessiné une photographie de la province. On n’avait pas débattu de sujets particuliers, sauf d’un seul qui était malheureusement d’actualité, puisque c’était juste après l’incendie de la prison de Sidi Moussa. On avait notamment examiné dans quelles conditions il faudrait y avoir une coopération en matière pénitentiaire, dans le sens de la gestion des fichiers des détenus. J’avais alors pris note de ces questions posées à l’époque qui ont été par la suite transmises vers le magistrat-liaison à l’ambassade de France à Rabat.
Pour ce qui est de l’actuelle visite, le contact est complètement différent, puisque j’ai déjà eu l’occasion de connaître le nouveau gouverneur. Cela se passait à Mohammedia et là aussi dans des circonstances pas très agréables, puisque c’était suite aux inondations du 25 novembre dernier. Mais cette fois-ci, on est entré davantage dans le vif du sujet. On a principalement parlé des projets d’aménagement touristique de la région et des opportunités de l’implication de certains groupes touristiques français qui disposent de grandes compétences en la matière. On a donc évoqué ces questions d’aménagement sous différents aspects comme le tourisme de plaisance ou celui de l’hôtellerie. On a aussi parlé longuement des affaires culturelles et patrimoniales. C’est un sujet qui m’intéresse beaucoup puisque j’étais pendant quatre ans conseillère culturelle auprès de l’Ambassade de France au Brésil. Mais ce qui m’a frappé le plus quand j’étais venue la première fois à El Jadida, c’est cette richesse du patrimoine architectural et historique qu’on retrouve dans très peu de villes du Maroc. Et là je cite le passé portugais qui me paraît certainement un potentiel de coopération et de développement de la région, à mettre profit.
J’ai aussi été fascinée par le site de Oualidia et cette vaste zone de marais salants avec ses multiples oiseaux… Il y a donc dans la province d’El Jadida des ressources patrimoniales ainsi que cet aspect touristique avec la spécificité portugaise, il y a la richesse de la côte et celle de l’intérieur avec ses fermes et son accès à un mode d’agriculture qui est perdu depuis des années en Europe… Ce sont là autant d’atouts dont peut disposer la province d’El Jadida? Car aujourd’hui, le touriste n’a plus envie de « bronzer idiot », ou de s’enfermer dans un lotissement en clos et sans aucun contact avec la population.
Parmi les autres questions que j’ai évoqué avec le gouverneur, c’est celle qui a trait à la problématique d’assainissement dans la région. Mais une caractéristique également d’El Jadida, c’est qu’elle est très propre. Il n’y a pas de graffitis sur les murs, les jardins sont bien entretenus et les trottoirs balayés. Par ailleurs, c’est très irrigué avec l’Oued Oum Rabia juste à côté… Donc, il y a certainement des sujets d’intérêt commun à développer qui n’existent pas forcément ailleurs.

Q : L’histoire d’El Jadida nous rappellera toujours que la France a laissé un peu d’elle-même dans la cité appelée autrefois Deauville marocain. Mais paradoxalement, cette même France s’avère aujourd’hui quasiment absente dans une région devenue de plus en plus attractive que par le passé… Comment peut-on expliquer cela?
R : Je ne sais pas si j’ai une explication mais j’ai peut-être quelques éléments de réponse. On s’est peut-être concentré sur des villes urbanisées comme Casablanca et c’est là-dessus que s’est focalisé le partenariat… Mais au-delà, je peux vous dire que je suis nouvellement nommée pour vous donner plus de détails. Là-dessus, je sais que le conseiller commercial de l’ambassade est venu ici, dans la province d’El Jadida, il y a de ça quelques jours, donc cela montre bien qu’il y a aujourd’hui un intérêt croissant pour la région de la part des autorités françaises.
Je sais aussi que dans le domaine culturel, il y a à El Jadida une école française qui marche bien et qui d’ailleurs a pu gagner en galons puisque depuis cette année, c’est une école qui est homologuée et qui en plus est totalement reconnue jusqu’en 4ème. Il y a aussi à El Jadida une deuxième entité culturelle qui est l’Alliance française qui, comme vous le savez, est une structure tout à fait particulière, fonctionnant avec un comité local élu et un directeur français.
Sur un autre plan, je voudrais faire cette année le 14 juillet à El Jadida, pour montrer que la région nous intéresse, non pas tant par le nombre de français qui sont de l’ordre de 80 personnes, mais surtout parce que c’est très important symboliquement. On voudrait développer davantage le partenariat, surtout qu’il y a déjà un jumelage entre Sète et El Jadida.

Q : Pour revenir au jumelage Sète-El Jadida, on sait que depuis 1992, tout un maillage d’amitiés et de relations humaines a été tissé entre les deux villes, mais au-delà de cet aspect qui n’est certes pas à négliger, on a l’impression de patiner sur place… Ne croyez-vous pas qu’il est temps de passer à une vitesse supérieure?
R : Mon but c’est surtout d’écouter vos souhaits. Mais si j’ai bien compris, maintenant il faut dépasser le stade de l’échange culturel qui reste quand même très important, pour passer au stade économique sur plusieurs volets. Je vais donc en parler à la chambre de commerce et au conseiller commercial de l’ambassade, Patrick Hervé. Nous allons nous concerter à trois pour déterminer le meilleur levier ainsi que l’interlocuteur français qu’il faut toucher.

Q : Des amours qui tiennent bon entre Sète et El Jadida, c’est un peu cette même image qu’on retrouve au sommet ainsi qu’au niveau des relations franco-marocaines… Mais sans plus de grande visibilité sur d’autres horizons. Selon vous, quel pourrait être le rôle de la France pour mieux ancrer un pays ami tel que le Maroc dans l’idéal d’une Europe de plus en plus centrée sur elle-même?
R : Tout à l’heure vous avez évoqué la géographie… Je ne cite même pas l’histoire puisque déjà la géographie parle d’elle-même. On voit aujourd’hui une Europe qui a commencé à cinq pays, passer à quinze et demain on sera trente. C’est pas bien évident que le Maroc soit demain intégré à l’Europe mais ce qui est sûr et d’ailleurs le président de la république l’a bien dit lors de l’inauguration de la Place Mohamed V, le Maroc a une place particulière sous une forme de partenariat, à penser au-delà du partenariat bilatéral privilégié entre le Maroc et la France ou celui global entre le Maroc et l’Europe. Le Maroc, pour nous, c’est la porte de l’Afrique et aussi une des façades du Monde arabe. Il a donc plusieurs casquettes si j’ose dire, c’est vraiment pour nous européens, un partenaire obligé, absolu et incontournable et dont on ne peut absolument pas se passer. Ensuite, les modalités d’associations, de contacts et de relations entre le bloc européen, le Maroc et les entités qu’il peut représenter, ça ce sont des sujets et des études qu’il faut travailler durant des mois et peut-être des années qui viennent. Parce que aujourd’hui, on ne travaille pas pour demain mais pour après demain.
Quand John Monet et Robert Schuman ont construit l’Europe en 1951, ils n’imaginaient pas que près de 50 ans plus tard l’Europe serait multipliée par six… Mais je pense que quelque part dans leur esprit, il y avait cette pensée, peut-être inconsciente, qu’ils posaient la première pierre d’un vaste édifice. Donc aujourd’hui, l’idée c’est ça. On parle de la globalisation, mais celle-ci n’a pas que des aspects très positifs et les échanges doivent être fructueux dans les deux sens.

CHAHID Ahmed – Libération du lundi 20 janvier 2003