Artisanat, l’enfant pauvre des Doukkala

Une visite de travail du ministre de l’Artisanat devrait avoir lieu dans les prochaines jours dans la ville d’El Jadida. Une nouvelle bouée de sauvetage dans un océan d’incertitudes, que les locaux sont appelés de saisir pour épargner au secteur de sombrer irrémédiablement dans la sinistrose.
L’autre chance de survie des derniers îlots de l’artisanat dans le territoire doukkali est aussi intimement liée au futur développement du tourisme dans la région, notamment, le toujours espéré projet Azur de Haouzia. Une nouvelle aubaine pour le secteur de l’artisanat dans la mesure où cela lèverait au moins le voile sur une réalité toute morose dans une province qui a sacrifié ses repères traditionnels sur l’autel du “modernisme”.
La jellaba Saissia, dont la renommée a dépassé le cadre de nos frontières est aujourd’hui en voie de disparition par manque d’une relève pouvant perpétuer un travail de stricte minutie et de grande patience.
Les rares détentrices des secrets de la “Kharka” Saissia localisées surtout à Sebt Saiss, sont le plus souvent de vieilles femmes, jamais assez récompensées pour un art de tissage qui peut durer jusqu’à trois mois par pièce. Tous les fruits de ce travail de grande concentration sont capitalisés par les intermédiaires dont certains se sont appropriés des diplômes en la matière.
La jellaba saissia a aussi souffert de l’absence de son estampillage, un cachet qui aurait dû la valoriser encore plus, tout en permettant la pérennisation de ce pur produit local qui risque de disparaître avec les dernières survivantes.
Rares sont ceux qui connaissent le douar des potiers d’ouled Hcine. Pourtant, ce sont les artisans de cette contrée rurale qui alimentent tout le marché national en “Taarija”. Le produit brut de cette localité étant acheminé ensuite vers Safi pour le coloriage des motifs et autres retouches d’embellissement Et là aussi, peu d’attention entoure les fourmilières d’artistes, souvent mal organisés et qui ne profitent que sommairement des fruits d’une grande technique dont les origines se perdent dans la nuit des temps.
Peut-on parler d’artisanat dans les Doukkala, sans évoquer le tapis d’Azemmour et sa broderie exceptionnelle, frappée des motifs du dragon, aux origines toujours mystérieuses? Comment ne pas regretter cette vieille natte artisanale de Moghress, qui n’a plus aucune chance de battre en concurrence les produits en plastique qui inondent le marché? Ou encore la vannerie d’Ouled Hcine et le haïk de Saïss?… Autant de richesses difficilement récupérables, tant qu’une attention particulière ne leur soit accordée.
Le secteur de l’artisanat des Doukkala fait aujourd’hui figure d’enfant pauvre dans une région où les priorités sont ailleurs.

Il fait autant figure de laissé – pour-compte, qu’on ne s’est même pas donné la peine de recenser les foyers qui l’alimentent et encore moins les actions qui gravitent autour. Les seuls chiffres dont on dispose ont trait aux inscrits dans les listes électorales de la Chambre d’artisanat, qui sont au nombre de 8000, où coiffeurs, électriciens, plombiers et patrons de douches et hammams sont logés à la même enseigne et représentent la part du lion dans le lot. Triste à en pleurer.
Emettons tout de même l’espoir-encore un- que tous ceux qui veillent localement au chevet d’un secteur qui agonise doucement, pourront exprimer ouvertement et sans complexe les douleurs qui tétanisent ces derniers retranchements de cette spécificité doukkalie. Une chance à saisir avec toute la force qui se doit, ne serait-ce que pour établir un premier constat de la situation avant d’envisager les remèdes salvateurs.

Ahmed CHAHID – Libération 26-01-2004