Sous le titre « DES ÉCRIVAINS S’INTERROGENT la langue française vue de deux de ses périphéries », la Délégation Wallonie-Bruxelles au Maroc et l’Union des Écrivains du Maroc viennent de publier les actes des « rencontres littéraires » entre écrivains marocains et belges d’expression française.
Ces rencontres se sont déroulés à Rabat, les 29 octobre et 1er. novembre 2001, et ont réuni 3 créateurs Wallons et 5 Marocains, et parmi ces derniers le j’didi Said Ahid, journaliste et poète.
Nous publions la collaboration de Said Ahid à ce travail collectif, tout en signalant que l’auteur doukkali a à son actif deux recueils de poésie en langue française.
Insécurité linguistique
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Il me fallait, d’abord, écrire.
Pour me soustraire du bruit dont la médisance efface l’essentiel. Dresser des barricades contre l’aphasie qui voile les connivences, les conjurations, les trahisons et les prévarications du monde qui n’a de cesse de stranguler mes certitudes et mes doutes. M’insurger contre l’incommunicabilité des vocables dépeuplés de l’humain en l’humain.
Créer.
Quêter une parole, désormais mienne. L’imbiber par le vécu et le savoir qui écorchent ma chair. L’inscrire dans le Livre originel composé, depuis que les mots sont mots, par tant de voix et dans toutes les langues : les mortes, les vivantes et les agonisantes. L’ébaucher en lieu et place de certains de ses silences, inadvertances et lisières effacées par le bon vouloir des inquisiteurs de toutes les hordes.
-2-
Il me fallait, ensuite, écrire.
Pour dépouiller la parole censée être mienne de son impuissance. Pas l’impuissance virtuelle du dictionnaire, mais celle de l’urgence.
Alors, sans préméditation aucune et à mon insu, les senteurs d’une lointaine concubine, jadis coupable d’avoir enfanté le complexe du colonisé que j’ai inhumé, ont fécondé mon aridité. Peut-être parce que le socle de l’Identité s’était forgé dans le bronze inaltérable qui a modelé les canons des murailles de la Cité qui m’a fait offrande de la vie : Mazagan. Peut-être !
L’actuelle El Jadida était l’espace qui s’ouvrait, en toute pudeur, à la coexistence et au triomphe des langues et des dialectes de toutes les rives et les terres fermes : l’Arabe des Zaouias et des tribus des Doukkalas, le Tamazight pur et celui des berbères arabisés, les Hébreux et le parler hébraïque des ruelles étroites du Mellah, le Portugais, l’Espagnol, le Français des lexicographes et celui qui annonçait, d’ores et déjà, l’insécurité linguistique de Paris…
-3-
Il me fallait, fondamentalement, écrire.
Pour m’approprier le fanion de cette insécurité linguistique qui exacerbait la maîtresse obèse, importée du moyen âge gaulois, pour m’apprendre que « Wallons » se prononce comme « western » et non comme « wagon » !
Ainsi j’avais toute latitude pour errer dans le cyclone de l’Autre afin de retrouver les visions circulaires de mes yeux d’enfant où régnait l’aller-retour.
-4-
Il me faut écrire.
Car cet aller-retour, où le centre s’effrite impérativement et avec lui le pouvoir des fondamentalistes des chapelles linguistiques qui se sont trop longtemps arrogés l’autorité d’édicter l’intonation de nos complaintes viscérales, nous sacre parole du dedans et du dehors.
Écrire dans cette langue qui est, selon Gilles Deleuze, » une sorte de langue étrangère, qui n’est pas une autre langue, ni un patois retrouvé, mais un devenir-autre de la langue, une minoration de cette langue majeure, un délire qui l’emporte, une ligne de sorcière qui s’échappe du système dominant. «
Said Ahid