« FULGURANCES » un livre qui raconte la longue épopée des ports du Maroc

 » Najib Cherfaoui et Hamadi Doghmi, ingénieurs des Ponts et Chaussées, racontent la longue histoire des ports du Maroc à travers les siècles, les régions et les gens, dans leur livre « Fulgurances ». Premier de son genre, ce livre nous fait découvrir une partie jusqu’à présent ignorée de notre histoire, la relation des marocains avec la mer, à laquelle ils ont longtemps tourné le dos. « 

Au Maroc, depuis le XVIIème siècle, l’Ingénierie côtière évolue par urgences.
Tout commence en 1624. En contrepoids à l’emprise des Portugais sur les enceintes fortifiées de Safi et Mazagan, le Roi Saâdien Moulay Zidane envisage l’implantation d’une jetée pour briser les bancs d’alluvions de l’Oued Oum Er Rabii et améliorer ainsi l’accès nautique d’Azemmour. Mais, en même temps que les Hollandais, son attention est attirée par le site lagunaire d’Ayir où il explore, sans pouvoir la concrétiser, l’idée de création d’un port en faisant sauter la dalle rocheuse qui en bloque le passage.

Dix ans plus tard, Moulay El Oualid reconsidère cette étude et tente à son tour la même percée sur l’Océan.
Quoique inachevés, ces deux projets signent l’acte de naissance des travaux à la mer au Maroc et inspireront plusieurs générations d’ingénieurs.

Par exemple, dès 1662, les Anglais vont bâtir à Tanger un môle magnifique qui en fera, en ce temps, un des premiers ports au monde.

Dans le même esprit, à partir de 1757, le Sultan Sidi Mohamed Ben Abdellah, favorable aux échanges internationaux, renforce par des skalas plusieurs places maritimes, notamment celles de Casablanca, Larache, Salé, Rabat, Mogador et Martil.

À l’inverse, Moulay Slimane opte pour une politique de repli, ferme les ports et n’autorise que le trafic caravanier.
Cependant, à partir de 1850 et pour pallier le déficit des caisses de l’État, ses successeurs ouvrent à nouveau les frontières atlantiques aux marchés européens. L’effet ventouse est immédiat ; le débordement le plus révélateur à cet égard est celui de l’ingénieur anglais Donald Mac Kenzie qui aménage en 1876, de son propre chef, une factorerie à Cap Juby, faisant ainsi de Tarfaya, cas exceptionnel, un port véritablement privé. Cependant, la situation administrative du port est régularisée en 1895. L’occupation du domaine est transformée, sur ordre du Sultan Moulay Hassan 1er, en concession.

Du point de vue de l’ingénierie, ces évènements ont le mérite de préparer les initiatives novatrices qui façonneront, tout au long de la première moitié du XXème siècle, le système portuaire marocain. Pour saisir la portée de ce changement de cap, nous rappelons que dans le contexte des côtes atlantiques marocaines et jusqu’en 1932, un port comprend deux régions : la rade et la rive terrestre, séparées par un haut﷓fond de sables, appelé barre. Ces deux parties sont reliées par des barcasses, propriété du Sultan et affectées au transbordement des marchandises. À cette époque, les conditions de chargement et de déchargement des navires ne sont pas au cœur des préoccupations du Makhzen : les ports sont essentiellement des points de collecte des droits de douane.

C’est au Sultan Moulay Abdelaziz que revient le mérite d’avoir, le premier, pensé à considérer un port, non plus uniquement comme une zone de perception des taxes, mais aussi comme un ensemble de bassins dotés d’infrastructures et d’équipements garantissant la sécurité des bateaux, facilitant leur ancrage et permettant l’exécution de leurs opérations directement sur les quais. Il pressent qu’un port est, avant tout, un pôle de croissance pour son arrière﷓pays. Il prend également conscience que pour attirer les lignes de navigation, il faut d’abord éviter aux navires une escale coûteuse en augmentant le rendement et en diminuant les taxes. À cet effet, il ordonne la construction de môles à Larache et à Tanger, l’édification d’un embarcadère à Safi en 1902, et l’établissement d’un port à Casablanca.

Le chantier du port de Casablanca, lancé en 1904, consiste à créer un bassin bordé par deux petites digues. Face aux assauts de l’Atlantique, ce dispositif se révèle inefficace. C’est alors qu’intervient, au mois d’octobre 1912, le fameux projet de l’ingénieur Delure. S’appuyant sur ce socle, il dessine une grande digue qui, d’abord perpendiculaire, puis parallèle à la côte, se termine après un parcours de 1 900 mètres. Une jetée transversale, futur môle des phosphates, se détachant du rivage, longue de 1 400 mètres, vient à sa rencontre et la rejoint à 300 mètres de son extrémité ; dans le mouillage qu’elles encerclent, les navires couverts contre la houle du large, ignoreront désormais les tempêtes du dehors. Puis, dans une superbe fulgurance, il imagine la continuation de la Grande digue et l’édification d’une deuxième jetée transversale pour conquérir sur la mer un second mouillage égal au premier. Casablanca peut ainsi devenir et rester un grand centre commercial. Cette logique évolutive, prélude à un essor durable, scelle définitivement le destin de la ville à celui de son port.

Mais, Delure ne s’arrête pas là. Prenant pour centre Casablanca, il jette, dans une vision ultime, les bases d’une vaste toile portuaire qui s’étend de l’Oued Sebou à Cap Sim. Au Nord, il remarque Fédala. L’abri providentiel, constitué par trois îlots qui le couvrent, sera renforcé par des digues et soulagera le port voisin de Casablanca. Plus haut, c’est Rabat et le Bou-Regreg dont le large estuaire sera coiffé par deux jetées convergentes. Elles enserreront le flot de marée, pour lui donner la puissance nécessaire à la purge naturelle des sables. Non loin de là, se trouvent Kénitra et l’Oued Sebou, à l’entrée duquel se dressent des bancs de sables changeants. Ils seront brisés par deux jetées concentriques prolongeant vers le large le lit du fleuve.

Au Sud, ce sont les cités portuaires de Mazagan et de Mogador. Dans une première étape, il ne sera pas question de quais accessibles aux navires. Mais, par le creusement de bassins, les remorqueurs et les barcasses, condamnés alors à l’échouage à mi﷓marée, pourront pénétrer à toute heure. À Safi, où la violence de la mer est grande, une passerelle sur pieux dépassant la ligne des brisants permettra l’accostage des barcasses.
Pour guider les marins dans leur marche, quatre phares à éclats, de grande puissance, s’élèveront à la pointe d’El Hank, à Sidi Bouafi, au Cap Cantin et au Cap Ghir.

Dans le sillage de ces réalisations, va jaillir un faisceau d’ouvrages dont la pièce maîtresse est la dorsale qui s’étend du môle de Tanger (1904) à l’appontement de Dakhla (1959), en passant par les jetées de calibrage de Mehdia (1926), le quai﷓îlot de Sidi Ifni (1964) et le wharf de Laâyoune (1968).
L’ingénierie côtière et portuaire marocaine est alors au sommet de son art et les phares, symbole fort, cristallisent aux yeux du monde entier cette réussite superbe.

Cependant, à partir de 1962, ceux qui président aux destinées des ports ne sauront pas tirer profit de cet héritage. Par ignorance des choses de la mer et en l’absence de culture portuaire, ils commettent une série d’erreurs à répétition, non seulement scientifiques et techniques mais aussi de gestion, qui entraînent les ports dans une crise structurelle dont les stigmates sont toujours vivaces.

Enfin, à travers les siècles, les régions, les gens, ce livre raconte la longue épopée des ports du Maroc, ce phénomène
constant et passionnant.