L’économie marocaine face à la crise mondiale :
Le paradoxe de la croissance tranquille

Rédouane Taouil [[« Le Mensuel », février 2009]]

L’économie nationale risque d’être en mal de croissance. La crise mondiale tend à accentuer la déficience de la demande globale et le rationnement du crédit bancaire. Seule une politique réactive et coordonnée serait en mesure d’atténuer ces tendances.

En dépit de la dégradation de la conjoncture internationale, le gouvernement maintient ses prévisions d’un rythme de croissance globale de 5,8% en 2009. Ce faisant, il semble faire sien l’argument du découplage selon lequel la récession, qui s’annonce d’ores et déjà profonde, n’aura que de faibles retombées sur l’économie nationale. A examiner la pertinence de cet argument, on songe immanquablement au paradoxe de la tranquillité de Minsky, disciple de Keynes, qu’on redécouvre aujourd’hui à la faveur de la crise : les agents économiques manifestent un excès de confiance quant aux perspectives de croissance alors qu’elles renferment des risques de retournement. Il serait, en effet, fort surprenant que l’économie marocaine connaisse une croissance tranquille : outre que l’activité réelle subira les répercussions du recul de la demande mondiale, le système bancaire est amené à durcir les conditions du crédit.

Les signes de freinage de la croissance

Le cercle vicieux de contraction économique et de détérioration des conditions financières à l’œuvre dans les économies développées exerce des effets de débordement significatifs sur les pays émergents. Le Maroc est loin d’être à l’abri de ces effets. L’environnement international exercera, à coup sûr, un impact défavorable sur la croissance. La demande étrangère adressée au Maroc est appelée à enregistrer un net fléchissement. Son rythme de progression, qui était de 5,5% en 2007 et de 3,2% en 2008, tombera à moins de 0,3% cette année. Les exportations des produits textiles accusent déjà une baisse de plus de 4%. De même, des entreprises d’offshoring s’attendent à une baisse sérieuse des commandes à partir de la mi-2009. La sous-traitance en automobile subira de plein fouet la récession. Compte tenu des parts de l’ensemble ces activités dans l’emploi et la formation de la valeur ajoutée, la croissance industrielle risque de connaître un essoufflement prononcé. Pour leur part, les activités touristiques risquent de poursuivre l’évolution à la baisse qu’elles connaissent depuis début 2008. Une baisse des recettes dans ce domaine de 3% occasionne une perte de croissance de 0,2%. Les transferts des résidents marocains à l’étranger enregistreront, à leur tour, un recul de nature à susciter une baisse des revenus des ménages et une détérioration du pouvoir d’achat. S’agissant des investissements directs étrangers, la baisse se profile non seulement dans l’offshoring où des projets de services informatiques ont été annulés, mais aussi dans les secteurs touristique et immobilier qui commencent à pâtir de l’arrêt ou du report de projets d’envergure. Selon certains milieux professionnels, le freinage de la demande adressée à l’Asie émergente peut créer des opportunités pour les entreprises marocaines. Il semble peu probable que les opérateurs du textile ou de l’offshoring détournent à leur profit des commandes traditionnellement adressées aux entreprises asiatiques. Les coûts de réorientation géographique de ces commandes peuvent être dissuasifs d’autant que l’incertitude sur la qualité des produits et sur les délais d’exécution des contrats jouent en faveur de la reconduction des contrats avec les partenaires habituels.

Bruxelles prévoit une contraction de l’activité de 1,8% du PIB en Europe en 2009, soit la pire récession depuis soixante ans. Les retombées de cet effondrement de la croissance sur la demande globale au Maroc, risquent, par un mécanisme de multiplication à la baisse, de freiner considérablement la croissance. La campagne agricole crée sans doute une heureuse coïncidence dans l’incertain climat qui s’annonce pour 2009. La progression de la valeur ajoutée agricole amortira les chocs. La probable bonne tenue des revenus agricoles viendra confirmer que les performances de l’économie marocaine sont tributaires de l’agriculture. Il n’a y a pas autonomie du secteur non agricole. La contrainte agricole exerce des effets directs sur les industries alimentaires et sur le commerce.

La crise mondiale se propage, au-delà de l’activité réelle, par des effets de contagion financière. Certes, elle n’affecte pas la stabilité du système bancaire et financier tant l’ouverture extérieure de ce dernier reste marginale. La part des actifs étrangers dans le total des actifs est à peine supérieure à 4%. L’exposition à la diffusion des troubles financiers est très limitée : outre que les risques sur les contreparties étrangères sont faibles, la fraction des actifs toxiques est insignifiante. Cependant, l’accentuation de l’incertitude sur l’économie réelle pèse sur les comportements d’offre de crédit. La confiance entre le secteur bancaire et les entreprises s’affaiblit. Les restrictions de facilitées de trésorerie, le renforcement des exigences de garantie, le refus de renouvellement de lignes de crédit sont autant d’indices de durcissement du crédit. Cette suspicion, qui concerne le textile, l’offshoring et le tourisme, est de plus en plus de mise dans l’immobilier. La perception de la solvabilité par le secteur bancaire semble déterminée par les anticipations de baisse du prix de l’immobilier notamment moyen et de haut standing. Les difficultés de vente que rencontrent les promoteurs immobiliers compromettent l’obtention de nouveaux crédits. Ce resserrement de la contrainte financière n’est pas sans peser sur la croissance à travers l’impact dépressif sur l’investissement. Des projets concernant des activités directement liées à l’immobilier comme les cimenteries ou le tourisme sont suspendus, voire annulés. Le rationnement du crédit est appelé à s’accentuer suite au renchérissement du crédit. Les banques sont amenées à augmenter les taux d’intérêt en y incorporant des primes de risque plus élevées et à réviser à la hausse le coût des crédits octroyés à des taux variables. Il y a donc lieu de s’attendre à ce que le resserrement de la contrainte financière se conjugue à l’atonie de la demande globale pour renforcer les mécanismes de ralentissement économique.

Les signaux de la politique économique

Bien qu’elle soit conçue sous l’hypothèse du découplage, la politique budgétaire est annoncée comme un plan tout à fait adapté à la gestion de la conjoncture. Les dispositions en matière de subvention des produits de base et d’allégement d’impôts sur les ménages sont tenues pour des instruments de soutien à consommation Ainsi, le relèvement du seuil exonéré de 24000 dh à 28000 dh comme la réduction du taux marginal d’imposition de 42% à 40% et le doublement du montant de la réduction pour charge de famille fixée à 360 sont censés occasionner des gains de pouvoir d’achat en faveur de la demande domestique. Les dépenses de consommation des ménages, qui ont cru en de 6% en 2008, ne sont cependant pas susceptibles de compenser les effets récessifs de la crise sur la demande, même si elles se maintiennent à ce rythme. Des circonstances exceptionnelles appellent des mesures exceptionnelles en dépenses d’investissement public. Ces dépenses ne présentent, ni des menaces d’inflation, ni des effets d’éviction au détriment des entreprises. D’une part, du fait de la décélération de l’inflation suite à l’effet conjugué du reflux des cours du pétrole et des matières premières et de la contraction de la demande extérieure, la marge de manœuvre budgétaire se trouve élargie. D’autre part, la hausse de la demande publique n’est pas de nature à induire une montée des taux d’intérêt dans le contexte d’atonie de la demande privée. Si le soutien de l’activité par les autorités budgétaires est coordonné avec la banque centrale, il n’y a pas de risque d’éviction.

S’agissant de la politique monétaire, Bank Al Maghrib a procédé à une hausse du taux d’intérêt de 3, 25% à 3,50%. Ce comportement, qui contraste avec celui de banques centrales aux prises avec la crise de liquidités, s’explique par le fait que le marché interbancaire n’est pas affecté par une telle crise. Après une hausse de 30% en 2007, le taux de crédit enregistre une progression de 24% en 2008. Dans le même temps, pour alléger le coût de refinancement, la banque centrale a baissé le coefficient des réserves obligatoires de 15% à 12%. Cette injection de liquidités a pour but d’inciter les banques à ne pas répercuter la hausse du taux directeur. Gardienne de la sécurité du système des paiements, la banque centrale s’attacher à concilier les objectifs de stabilité des prix et de stabilité financière. L’action sur le taux d’intérêt et le desserrement des règles prudentielles en matière de gestion des encours et de provisionnement et d’opérations de caution et d’aval d’effets visent à réduire les excès d’endettement en particulier dans l’immobilier. Car cet excès risque de pousser les promoteurs, face à la contraction de la demande, à baisser significativement les prix, ce qui aura pour conséquence de détériorer leur solvabilité et d’accroître le risque de faillite. Le gouverneur de Bank al Maghrib n’a-t-il pas mis en garde contre l’emballement du crédit avant que n’éclate au grand jour la crise financière ? Dans ce contexte, les autorités monétaires sont contraintes de pratiquer une politique préventive. Certes, la croissance de l’activité nécessiterait de bas taux d’intérêts. Mais de tels taux apparaissent aujourd’hui inappropriés. D’une part, ils risquent d’encourager la surévaluation des actifs immobiliers et de renforcer la bulle spéculative dans l’immobilier qui est de plus en plus un secteur d’investissement privilégié au détriment de l’industrie. D’autre part, la transmission de la baisse des taux d’intérêts se heurte à la concurrence restreinte au sein du système bancaire ; elle est aussi lente que faible quand il s’agit de baisse de ces taux.

En définitive, les contraintes sur la croissance sont amenées à durcir au regard de la forte vulnérable de l’économie marocaine aux involutions de l’économie mondiale. La tendance à la déficience de la demande et au desserrement du financement bancaire appellent une combinaison des instruments monétaires et budgétaires destinées à créer une convention de stimulation l’activité globale. La crise offre des opportunités d’adapter la politique économique en vue d’une meilleure régulation de la conjoncture. Bank Al Maghrib projette de réviser ses statuts et la loi bancaire dans ce sens. Les autorités budgétaires pourraient, à leur tour, redéfinir leurs règles de gestion des finances publiques en relation avec la croissance hors de la seule logique comptable. Des dispositifs de garantie de prêts de nature à alléger la contrainte financière des entreprises, des plans d’investissement public, des programmes de soutien à l’emploi et la consommation seraient à même de briser les comportements d’attente et de prudence excessive. En réduisant les effets négatifs qui se profilent, une telle convention pourrait être contra-réalisatrice et permettrait ainsi d’éviter les surprises de la tranquillité.

+ « Le Mensuel », février 2009.