Le littoral des Doukkala : futur pôle d’attraction pour l’écotourisme

Entretien avec M. Bendahou Zourarah, professeur habilité à la faculté de sciences d’El Jadida-Groupe Sciences de la mer

A l’occasion de la journée de réflexion sur la mer organisée aujourd’hui par Forum Presse El Jadida en collaboration avec la province d’El Jadida, nous avons rencontré M. Bendahou Zourarah, professeur habilité à la faculté de sciences d’El Jadida-Groupe Sciences de la mer. Il est responsable d’une unité de formation et recherche en géosciences marines, environnement, aménagement et gestion des littoraux. Il est également responsable côté marocain d’un programme d’action intégrée “PAI” franco-marocain sur les tendances évolutives du littoral nord Atlantique marocain, entre l’Université Chouaib Doukkali, l’Université de Bordeaux (Sciences et technologique), et le Centre Européen de recherche et enseignement en géosciences de l’environnement (CEREGE).

Libé: On parle souvent des études intégrées des littoraux, en vue de préserver les ressources, pouvez-vous nous expliquer de quoi s’agit-il?

Zourarah B: Les 2/3 de la population terrestre sont établies sur la frange côtière. Cette seule référence donne l’importance des potentialités économiques et socioculturelles des zones côtières. Outre la pêche, le littoral attire et regroupe des activités plus récentes souvent nécessaires pour des impératifs économiques telles que les activités portuaires, industrielles mais aussi l’aquaculture et le tourisme. Donc, préserver un littoral passe, d’une part, par une connaissance approfondie de ce milieu et d’autre part par l’existence d’un équilibre entre les besoins en développement et la préservation de l’environnement.
L’un des objectifs des études intégrées est la préservation des ressources. En effet, du point de vue de la gestion de ses ressources, le littoral est un objet d’étude complexe. Il ressort de la littérature que l’appréhension des problèmes de gestion des côtes se heurte à l’absence d’une définition précise de ce qui relèverait d’un champ spécifique littoral. Les études consacrées à la gestion des côtes sont plus ou moins implicitement rattachées à des échelles d’observation et d’action relative à la nature des problèmes qu’elles traitent. Elles reflètent finalement une certaine hétérogénéité des approches, et l’absence d’une analyse qui permettrait de situer ces différents travaux les uns par rapport aux autres, autour d’un objet de recherche central.
Actuellement, le littoral est considéré comme “une entité géographique qui appelle une politique spécifique d’aménagement, de protection et de mise en valeur. “La gestion du littoral est alors considérée comme un exercice spécifique dans la mesure où elle s’applique à une entité géographique particulière.
Le littoral est avant tout un “milieu” engendré par une discontinuité naturelle séparant l’ensemble continental de l’ensemble marin. En cela, il peut être considéré comme une limite difficilement maîtrisable par l’homme et dont la nature est liée à des évolutions à moyen et long termes. C’est également un milieu où entrent en contact la mer, l’atmosphère et le sol et selon l’importance prise par l’un ou l’autre de ces milieux, les formes de terrain, l’écoulement, la vie.
Le littoral se caractérise par un grand nombre de paysages nés de l’interaction permanente de la terre et de la mer. Chaque type de côte a ses caractéristiques propres et abrite une faune et une flore qui lui sont particulièrement physiques. La variabilité biologique du littoral est comparable à celle de son environnement physique tant dans le domaine pélagique (pleine eau) que celui benthique (de fond). Ces deux grands domaines ne fonctionnent pas indépendamment l’un de l’autre. Ainsi, de nombreuses espèces animales ont une phase larvaire pélagique et une phase adulte benthique, c’est le cas pour certains mollusques (moules, huîtres), crustacés (crabes, homards) ou poissons (plies, turbots). La productivité de la frange côtière (pêche, conchyliculture) est conditionnée par la qualité de ses eaux.

Le littoral des Doukkala, connaît-il un phénomène d’érosion?

Il faut d’abord souligner que l’érosion du littoral est un phénomène mondial : les côtes reculent. Les causes de l’érosion du littoral sont multiples : la force des vagues et des houles, la réduction des apports en alluvions par les fleuves (barrages, prélèvements…) qui alimentent en sable les plages, l’actuelle et lente remontée du niveau de la mer, de 1 à 2 mm par an, qui contribue au processus d’érosion. Cette remontée du niveau marin est probablement la conséquence d’un réchauffement de l’atmosphère par “effet de serre”. Les ouvrages maritimes (digues, jetées, quais…), qui peuvent diminuer ou supprimer le transport des sédiments, des extractions d’agrégats marins, les dragages d’entretien des chenaux accélèrent aussi l’importance de l’érosion côtière.
La position des rivages résulte d’un équilibre fragile entre un ensemble de facteurs qui tendent constamment à les déplacer. Les déplacements horizontaux des lignes de rivage dépendent de l’interaction entre les mouvements verticaux (émersion, submersion, quelle que soit leur cause) et les bilans sédimentaires (accumulation, érosion). Des lignes de rivage restent en équilibre lorsque l’émersion est annulée par l’érosion ou lorsque la submersion est contrebalancée par l’accumulation sédimentaire. Une côte avance si les effets d’émersion et/ou d’accumulation prédominent ; elle recule si l’érosion et/ou la submersion l’emportent. Les bilans ainsi représentés ont nécessairement une valeur momentanée (à l’échelle géologique) et varient en fonction du temps, avec les fluctuations du niveau de la mer, les changements climatiques et écologiques, les phénomènes tectoniques et les interventions anthropiques.
Le recul du trait de côte est un phénomène significatif à l’échelle mondiale. Une étude de synthèse à l’échelle mondiale a montré que la tendance récente des plages est à l’érosion (70% des cas), alors que 10% seulement avancent, les 20% restants montrent une relative stabilité. Cependant, des travaux de certains chercheurs basés sur les relevés de stations marégraphiques réparties dans le monde montrent que, bien que la submersion apparaisse plus fréquente que l’émersion, les mouvements moyens varient beaucoup d’une région à l’autre, sans qu’aucune tendance d’ensemble ne se dégage clairement. Chaque région possède ses propres caractéristiques hydrologiques (houle, marées, courants, etc.), géologiques (côtes sableuses, côtes rocheuses, plaines et marais maritimes, bassin versant du prisme littoral, apports continentaux, climats, etc…) et anthropiques qui font que les littoraux actuels sont le résultat de l’adaptation de l’interface continent-océan à la remontée du niveau marin; ce phénomène climatique pouvant être d’origine globale liée au réchauffement (fonte des glaces) et/ou à de la subsidence liée à des phénomènes géologiques. Chaque analyse de la réaction du littoral à la remontée ou non du niveau marin, en dehors de la tendance générale ou globale, devra être abordée par une étude fine du secteur considéré.
Le littoral marocain en général, et celui des Doukkala en particulier n’échappent pas à ce phénomène.

Quelle est la stratégie adoptée pour évaluer ce phénomène dans le littoral des Doukkala?

A l’heure actuelle où l’aménagement du territoire est d’actualité, il est impératif d’établir un découpage du littoral en unités de gestion territoriale, comparables dans le principe aux bassins versants des rivières: ce sont les zones homogènes. Chacune de ces zones homogènes constitue une échelle géographique de travail optimal pour une approche intégrée de la gestion, de la restauration et de l’exploitation de la frange littorale. Il faudrait définir pour chacune de ces zones homogènes, des axes prioritaires d’action. La démarche que nous comptons suivre dans nos travaux est bien du ressort d’une équipe de géologues, géographes, biologistes et environnementalistes sans doute, mais plus encore d’élus qui, une fois bien sensibilisés à ce problème, peuvent peser sur les décideurs.
Nous avons œuvré pour la mise en place d’une unité de formation et recherche pour la préparation d’un DESA en géosciences marines, environnement, aménagement et gestion des littoraux afin de préparer des futurs chercheurs capables de mener une recherche utile pour la compréhension et la gestion de notre littoral.
Nous avons lancé, également, un programme de recherche dans le cadre d’une action intégrée franco-marocaine entre l’université Chouaïb Doukkali, l’université sciences et technologie de Bordeaux I et le Centre d’enseignement et de recherche en géosciences de l’environnement (CEREGE).
Ce programme est intitulé: “Tendances évolutives du littoral nord Atlantique marocain: outils d’évaluation, impact de l’exploitation des stocks sableux, modélisation et contribution à la mise en place d’une gestion intégrée de la zone littorale du Maroc”.

Quels sont les objectifs de la mise en place de cette formation de troisième cycle en géosciences marines à la faculté des sciences d’El Jadida?

La présente formation, appuyée par notre université, a été accréditée par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et la Formation des cadres depuis le début de cette année. Elle vise à former et à développer les compétences des futurs chercheurs, en les initiant aux problématiques et aux méthodes et techniques de recherche dans le domaine de l’océanologie et la gestion des domaines côtiers. La pratique de la recherche est prévue en associant les étudiants à des recherches conduites dans le cadre des laboratoires d’accueil. Nous insistons sur la formation pluridisciplinaire des étudiants leur permettant d’apprendre à travailler en équipe et en réseau. C’est une formation à plusieurs volets, qui fédère plusieurs équipes de recherche spécialisées dans plusieurs disciplines relatives à l’environnement littoral.
La formation des étudiants combinée aux stages dans des laboratoires spécialisés permettra à ces futurs chercheurs de pouvoir définir des problématiques spécifiques de la région littorale des Doukkala, faire un diagnostic de l’état des lieux et pouvoir apprendre à participer dans les propositions des solutions adaptées.
Nous bénéficions au niveau de cette formation d’une part d’une coopération maroco-marocaine (notre département de géologie, le groupe Sciences de la mer El Jadida, laboratoire de ressources minérales et environnement de la faculté des sciences de Kénitra, Laboratoire de sédimentologie marine de la faculté des sciences de Rabat et l’Unité d’océanologie biologique et écologie marine de la faculté des sciences de Casa Ain Chok, l’unité d’océanographie de la faculté des sciences de Casa Ain Chok, l’unité d’océanographie de la faculté sciences et techniques de Tanger et d’autre part une coopération française (université de Bordeaux I et le Cerege, université de Marseille).

Quel est l’objectif de la mise en place d’un programme d’action intégrée et quelles sont ces retombées?

L’objectif scientifique primordial de ce projet est de déterminer la tendance évolutive du littoral nord Atlantique marocain, particulièrement dans la région des Doukkala-Abda, d’en déduire les aspects futurs selon une échelle temporelle décennale et séculaire, et ce afin d’établir une stratégie de gestion régionale intégrée. Les objectifs fixés dans ce travail seront atteints par la réponse aux questions suivantes:

  • Quelles sont les conditions générales qui ont présidé à l’existence de ce type de littoral?
  • Quels sont les facteurs qui régissent la dynamique dans un tel milieu?
  • Quelles sont les caractéristiques sédimentologiques et minéralogiques des dépôts de cette frange littorale?
  • Comment évolue la morphologie de ce littoral à court terme et quelle est la tendance évolutive à plus long terme (à 20 et à 100 ans)?
    Le but serait de cartographier les tendances évolutives en secteurs stables (bilans sédimentaires équilibrés) ou secteurs déséquilibrés (bilans sédimentaires négatifs ou positifs) de cette frange littorale et d’aboutir à un document pouvant servir dans l’aménagement de cette zone. Ce projet concerne une zone complexe, le domaine côtier, qui focalise depuis longtemps l’intérêt des équipes impliquées aussi bien marocaines que françaises. Ce projet est donc l’aboutissement d’une coopération, entre autres actions.

Quelle sont les dispositions à mettre en place pour valoriser le littoral des Doukkala?

Il est certain que le littoral des Doukkala recèle des potentialités énormes et une diversité morphologique incomparable; plages, estuaires, lagunes (zones humides) qui peuvent constituer des pôles d’attraction pour un écotourisme de valeur. Il faut noter que nous avons la chance d’avoir deux sites (lagunes de Sidi Moussa et Oualidia) qui sont des sites d’intérêt biologique particulièrement au niveau de l’ornithologie. Notre objectif est une valorisation du littoral mais aussi présenter aux décideurs certaines propositions pour un développement durable comme par exemple un plan de gestion pour un tourisme de nature qui pourrait obéir à trois facteurs : la qualité des sites, la demande de la clientèle ciblée, le volontarisme des gestionnaires pour une mise en valeur attractive et concurrentielle. Les enjeux écologiques, sociologiques et économiques du tourisme de nature dépendent de stratégies complexes.
Certes, c’est un investissement qui nécessite une volonté et une implication de tous les intervenants au niveau local et surtout un financement; mais je crois que le tourisme de nature est un moyen d’équilibrer économiquement la protection du littoral voire de la rentabiliser. Les investisseurs peuvent envisager le tourisme de nature comme un secteur à travers lequel ils peuvent “récupérer” sous forme de recettes tout ou en partie des fonds qu’ils injectent année après année dans la protection du littoral.
Notre programme est un programme ambitieux mais il ne peut voir le jour sans la mise en place d’une synergie entre les différents opérateurs socio-économiques; à savoir les autorités locales, les conseillers communaux, les élus, l’université, les ONG, et les décideurs de la région, afin de contribuer à la préservation et surtout à la valorisation de ce littoral.
Enfin, nous organiserons en juin 2005 à la Faculté des sciences un congrès international sur les géosciences de l’environnement en collaboration avec nos partenaires nationaux et internationaux sur un thème qui présentera la protection de l’environnement comme moyen de développement durable. ça sera une occasion de présenter à l’échelle internationale nos potentialités pour développer un écotourisme de valeur.

Propos recueillis par Ahmed Chahid Libération du 06-05-2004