La station météorologique d’El Jadida sera-t-elle condamnée à disparaître ?

La station météorologique d’El Jadida, qui est implantée depuis plus de trente ans dans l’enceinte de l’aérodrome de cette ville a-t-elle des chances de survivre à l’urbanisation galopante et effrénée qui n’a pas manqué de la rattraper ?

Les concepteurs du nouveau plan d’aménagement qui ont affecté toute l’aire de cet aérodrome récemment déclassé, pour un grand projet urbain, ont-il pris en considération les répercussions de cette décision sur l’avenir d’une station synoptique, aéronautique, climatologique et agro-météorologique, considérée comme étant une précieuse banque de données, que ce soit au niveau régional on à l’échelle nationale?
Autant d’interrogations qui s’imposent aujourd’hui plus que jamais, et qui ne peuvent laisser indifférents les milieux concernés, d’autant plus que le projet en question est en voie d’une réalisation imminente.

Ce dernier consiste en la réalisation d’un nouveau pôle urbain intégré qui s’étale sur 92 ha et dont le coût est estimé à quelque cinq milliards de dirhams. Une véritable bouffée d’oxygène pour la ville et la concrétisation d’un bon vieux rêve ayant bercé depuis longtemps l’imaginaire des politiques et des autorités qui se sont relayés à la tête de la province d’El Jadida.

Selon les appréciations des décideurs, ce projet aura à alléger la pression urbaine qui se fait de plus en plus ressentir au niveau d’une côte atlantique, dont la destinée devrait être en phase avec les nouvelles orientations touristiques de la ville et sa région. Il comprend des édifices administratifs, des immeubles à usage d’habitat de service et d’équipement, des complexes d’habitats dotés de lotissements, des villas, des centres sportifs ainsi que des espaces de loisir.
Devant cet état de fait, on peut estimer que toute alternative pouvant assurer la viabilité de la station d’El Jadida ou du moins sauvegarder son capital de relevés et observations météorologiques serait difficile à mettre en œuvre et représenterait un réel problème pour les services de la météorologie nationale. Problème d’autant plus délicat que la station locale qui fait partie intégrante de tout un réseau national serait aussi appelée à prendre une dimension beaucoup plus stratégique par l’intégration dans ses services d’un site de radiosondage.

Selon certaines sources proches des milieux météorologiques, cette décision à laquelle les météorologistes n’ont pas été associés et encore moins consultés, relève de la surprise. « La météorologie n’est pas un service comme les autres. Elle est avant et après tout une science de l’atmosphère, qui reste intimement liée à l’ambiance du milieu où elle se pratique ; de ce fait, toutes les données cumulées durant la période d’existence d’une station ne peuvent avoir un sens et une crédibilité scientifique, au-delà de l’aire où sont effectuées toutes les opérations relatives à des relevés permanents de la pression, des vents, des températures de l’air et dans le sol, des précipitations, d’observation des nuages… », nous ont confirmé les mêmes sources, qui évoquent l’alternative d’une supposée délocalisation de la station d’El Jadida avec le même pessimisme. «Difficile de parler d’une délocalisation précipitée, en ce qui concerne une station météorologique, parce que cela nous renvoie irrémédiablement à la case de départ. Cela équivaut à une perte sèche de trente années d’efforts, pour ce qui est du cas d’El Jadida, et la détérioration de «normales», dont l’importance est capitale dans la vie économique de tous les jours et dans tous les secteurs»

Le transfert d’une station météorologique, nous informe-t-on, ne s’improvise pas. Il obéit à des règles précises et bien définies, et surtout à l’impératif d’une large marge de temps, estimée de trois ans, afin de pouvoir laisser aux professionnels la possibilité de déterminer des coefficients dits de corrélation, seuls en mesure de «viabiliser» les anciennes données en fonction des nouveaux relevés.

Dans ce cas, aurait-on sous-estimé l’importance de ce maillon d’El Jadida, qui complète tout un réseau de stations similaires, quadrillant tout le pays ? Pourtant, c’est grâce à ce grand réseau, qui est appuyé par cinq radars couvrant l’ensemble du Maroc et aux compétences humaines qui y veillent nuit et jour, que la météorologie nationale a pu capitaliser son savoir et accéder à des technologies de pointe, au point de concurrencer des pays européens, tout en arrivant à exporter son savoir-faire vers les pays africains.

Mais doit-on sacrifier cette science au profit du développement, ou inversement, retarder le développement pour que survive cette science ? A notre sens, il aurait été plus raisonnable d’anticiper les aléas de cette situation, cela aurait permis à la ville une harmonisation de tous ses atouts, sans heurts et loin de tout dilemme embarrassant.

Chahid Ahmed – Libération le 15-04-2008

m.ahmedchahid@yahoo.fr