Nous tenons à remercier la communauté scientifique de l’Université Chouaïb Doukkali d’El Jadida, et plus particulièrement – dans le cas présent – le laboratoire géosciences marines et sciences du sol, pour sa disponibilité et son implication à la fois scientifique et citoyenne, à même d’éclairer l’opinion publique locale, sur un phénomène relevant de ses compétences et dont les rebondissements ont failli créer une panique fortuite, tout en semant le doute dans l’esprit de nos concitoyens.
Comme nous l’avons souligné auparavant, et en toute responsabilité, il est toujours trop risqué de s’aventurer dans des domaines spécifiques et hautement sensibles, sans consultation préalable de spécialistes dans le domaine. Et nous estimons que la proximité de l’Université Chouaïb Doukkali, qui regorge de sommités d’envergure Internationale et de compétences, toutes disciplines confondues, aurait du être prise en considération, avant que ne soit lancé un « pavé » de l’envergure d’une falaise dans la « mare » du Port de Jorf Lasfar.
De même que nous avons été très sensibles à certaines réactions, somme toute très pondérées et dont les auteurs, et au-delà de tout les sentiments d’inquiétude, n’ont pas manqué d’aspirer à l’arbitrage de la communauté scientifique, pour consolider ou le cas échéant dédramatiser la thèse de l’éboulement d’une falaise pouvant créer un mini- tsunami au niveau du port de Jorf Lesfar.
Aussi, dans l’article qui suit, nous donnons la parole à la science et à M. Khalid Mehdi, du laboratoire géoscience marine et sciences du sol, de la Faculté des sciences d’El Jadida, qui a bien voulu éclairer les citoyens sur un phénomène qu’il connaît bien et qui a été sujet à différentes thèses et études de la part des chercheurs de l’Université.
Chahid Ahmed
JORF LASFAR : HISTOIRE D’UNE FALAISE
« Tout d’abord nous tenons à souligner que le fait de parler d’un mini tsunami dans la zone de la falaise de Jorf Lasfar, serait faire preuve d’une hypothèse trop avancée. C’est vrai que le secteur regorge d’activités économiques et c’est de notre devoir en tant que scientifiques de la région de prévoir les scénarios, mais pas au point à ce qu’ils soient catastrophiques.
Au fait, c’est quoi un tsunami ?
Le «Tsunami » (SOO-NAH-MEE, en Japonais), est une série de vagues de périodes extrêmement longues, se propageant à travers l’océan, générées par des mouvements du sol dus essentiellement à des séismes sous-marins. Les éruptions volcaniques sous- marines ou les glissements de terrain peuvent aussi créer des tsunamis. Le raz de marée est généralement engendré par un mouvement brutal du fond de mer (Séisme, glissement de terrain…) dans lequel une vague soudaine, énorme et dévastatrice est provoquée par une action sismique (tremblement de terre, éruption volcanique ou énorme glissement de terrain). La longueur d’onde des vagues est de l’ordre de plusieurs centaines de kilomètres et leur amplitude en océan profond est très faible (de l’ordre du mètre). La vitesse est généralement comprise entre 500 et 700 Km/h mais peut excéder les 800 Km/h.
Pour ce qui est de falaise de Jorf Lasfar, celle-ci est soumise à l’action mécanique de la houle provocant un affouillement en pied de falaise. On assista alors à une mise en surplomb de la falaise et un basculement des massifs limités par des fissures fréquentes au sein des calcaires crétacés. Les masses éboulées qui forment une protection des formations meubles au pied de la falaise sont alors soumises à l’action érosive et abrasive de la houle ; après destruction, le cycle recommence. En plus de l’action mécanique au pied de falaise, une autre action concourt à déstabiliser celle-ci : le biseau d’eau non salée arrivant jusqu’au niveau de la mer dissout les calcaires de nature très poreuse. Ainsi, des cavités et des grottes se forment. Cette dissolution des couches adjacentes participe à leur déstabilisation.

Les conséquences de cette dynamique résident dans la formation des cavités et des grottes. La présence de ces derniers rend les mouvements de l’eau compliqués et par conséquent la région devient dangereuse pour les baigneurs et les pécheurs. En outre, par la hauteur des falaises et leur fissuration, l’installation des infrastructures est risquée. L’escarpement des falaises peut intervenir, dans la mesure où, lorsque celui-ci est fort, la destruction des falaises est rapide. La porosité du matériel formant les calcaires quaternaires, favorise également leur dissolution.
Le risque d’un effondrement de la falaise n’est pas à exclure, mais il faudrait une activité tectonique intense pour en déclencher le processus. Or, géologiquement, la région est considérée comme stable, en dehors de l’existence d’une néotectonique qui a affecté le littoral en provoquant des fissurations et des failles à l’origine du démantèlement de la falaise vive.
Aussi, et pour situer ce phénomène dans son contexte global, nous allons vous exposer de manière succincte, un aperçu sur la morphologie du littoral de Doukkala.
Les hautes falaises taillées dans les terrains jurassiques (Lalla Fatna), crétacés (Sidi Bouzid, au sud d’El Jadida), pliocènes (Jorf Lihoudi), ou quaternaires(Oualidia), bordent l’océan et se présentent de plusieurs dizaines de mètres.
Au sud d’El Jadida, les plages de sable fin alternent avec des promontoires rocheux (crétacé, jurassique ou quaternaire) et se trouvent parfois isolées de la mer ouverte par une barre (cordon dunaire littoral) qui protège une lagune (Oualidia)
Ces falaises taillées au cours du Quaternaire se situent à des altitudes qui diminuent de l’Est vers l’Ouest de la région étudiée témoignage d’une tendance à une baisse du niveau de la mer sans négliger l’intervention du soulèvement des plages par la tectonique. L’alignement plus ou moins parallèle des falaises anciennes par rapport à la côte actuelle prouve que le recul, de l’Est vers l’Ouest, de la ligne du rivage se faisait parallèlement à la côte actuelle.
Deux facteurs peuvent conditionner la forme des falaises : la lithologie et la structure géologique des terrains les formants. Concernant l’évolution des falaises dans l’espace, on constate qu’elles sont fréquentes et bien individualisées au Sud de l’Ouest Oum Rbia, par contre au Nord de cet oued, elles sont très rares. Cette variation est en relation avec la paléo topographie liée à des reliefs dont les altitudes sont plus ou moins hautes au Sud et avec la technique plus ou moins active soulevant le substratum.
Il faut noter également que la karstification est mieux marquée dans ces falaises au Sud (présence des abris, des grottes et des karsts…etc.). L’abondance de carbonates dans les calcarénites quaternaires et la nature calcaire du substratum crétacé et gypsifère du substratum jurassique en plus de l’humidité relative, vu la proximité de l’océan qui pourrait déclencher une dissolution, peuvent en être la cause, ces falaises sont trop affectées dans certains endroits par la dynamique marine et par la tectonique. Il en résulte un démantèlement des blocs de grande taille et par conséquent une destruction de cette falaise. »
Khalid MEHDI
Professeur à la Faculté des sciences El Jadida