Dédicace au poète de l’aimance


Dédicace au poète de l’aimance (Paru in « Le Mensuel », avril, 2009)
Khatibi avait plus d’une corde à son violon. Poète de l’aimance qu’il conçoit comme une alchimie entre l’amour et l’amitié, il s’inspire par- dessus l’épaule des maîtres du verbe courtois. Sous des sonorités saisissantes d’intensité, il croise compositions et arrangements pour chanter l’étreinte et la béance, les cendres et l’éclat, l’union du corps et de la poésie, l’écartèlement et le sacrement, l’offrande et la mélancolie.
Sur ce ton de l’expression amoureuse, Rédouane Taouil a présenté le texte ci-après dans le cadre d’une rencontre autour de l’œuvre de Khatibi organisée à Grenoble en février 2006 par Comara, une association de marocains résidents dans la région Rhône-Alpes.

NOCES DE LARMES

Rédouane Taouil

Selon la légende, les deux lacs des environs d’Imilichl seraient nés des larmes de deux jeunes amoureux qui ne purent se marier par ce qu’ils appartenaient à des tribus ennemies. Voici une célébration en vers de cette légende inséparable du moussem des fiançailles qui se tient en septembre dans ce cœur du Haut Altas oriental.

A l’orée de l’automne, les cimes, cérémonielles, s’inclinent en l’honneur des larmes. Les eaux, testimoniales, déclinent, volubiles la révérence d’aimer jusqu’à l’abîme. Les prairies, gercées par le vent, amoncellent sanglots mûris dans les boutons de l’aube cramoisie que la nuit vient cueillir, palpitante, dans la plénitude de la mélancolie. De la ronce des yeux et du liseron, de la rose ombreuse fuse la louange de la fusion en tous pleurs :

M’es-tu nuage ivre de l’idiome du soupir ?

Arôme d’une brise amère

Une feuille inapaisée dans la pénombre de l’hiver ?

Ton souffle est l’aurore semée au fil de l’onde nocturne,

Tes yeux une paire de fibules

Où désert et ciel mûrissent les pampres du crépuscule

Ton cœur une figue où le soleil s’est pâmé.

Aimante bien-aimée

Que la pluie te soit propice.

Je suis le pâtre de tes bourgeons et veille sur ton frisson.

Dans les vals, le ciel se prosterne ondulé et le zéphyr, embaumé
d’aveux, chuchote le songe vermeil de l’aimée que le coquelicot s’enchante à cacher à la brise vespérale :

Je suis le vertige de la sève

Le psaume du feu

La parure du fanal

La douve paisible

Où tu te mires frêle.

Je m’ensemence dans tes paumes

Et m’épanouis dans la rosée de ton brame

Je mûris sous de hauts éclairs,

J’ourle tes cils comme pour me sceller à un arc-en-ciel.

Dans le calice de mes lèvres

Une vibration se lève

Et te donne ma fragrance

Comme inexorable chagrin à venir.

Dans la nuit de la séparation, l’élégie transhume de torrents en falaises :« Je te pleurerai jusqu’à ce que mes yeux épuisent leur eau Et que les larmes soulagent mes maux ». Dans chaque fleur, le regret est enseveli. Dans chaque sente, le souvenir des sentiers. Sur la promesse nuptiale perle l’oraison. Et dans les tumultes des ravins, le ramier roucoule son thrène inconsolé :

Nous sommes voués à l’aimertume. Nous sommes nés pour héberger un sanglot au cœur des champs célestes.

Rédouane Taouil est professeur agrégé à l’université de Grenoble (France).