Début de XXème siècle L’époque où les œufs de Doukkala alimentaient l’Europe

Les œufs : Cœur marchand des Doukkala

Au début du XXème siècle, le commerce des œufs est une donnée incontournable pour comprendre la dynamique des Doukkala : grâce au climat tempéré, la ponte est presque ininterrompue tout au long de l’année, d’où la permanence de la production. De plus, les œufs provenant de ces régions sont les plus gros et, par conséquent, les plus recherchés du Maroc.

La ville de Mazagan est alors le plus important marché d’œufs du Maroc. Mazagan draine, outre les œufs des Doukkala et des Rehamna, ceux des régions voisines de Marrakech, jusqu’à Demnat, des Abda, des Chaouia et même du Gharb. Ce fait explique par la raison que les cours de Mazagan sont généralement plus élevés qu’ailleurs et que le producteur n’hésite pas à parcourir des distances considérables pour vendre sa marchandise au plus fort prix, même si le bénéfice réalisé est minime.

Par exemple, en 1921, on enregistre une collecte de 5 821 807 Kg d’œufs, valant 32 121 054 frs, 70% sont dirigés vers le port de Mazagan (El Jadida) qui est à l’époque un grand centre d’exportation des richesses agricoles du pays vers l’Europe. Ainsi, œufs, maïs, blé, orge, son, fèves, alpiste, amandes, pois chiches, grains de lin, fenugrec, peaux et laines en suint. Pour les œufs, les principaux pays destinataires sont la France (Marseille), l’Angleterre (Londres), Gibraltar, Malte et l’Espagne (Malaga, Cadix et Algésiras).

Casablanca et Safi ont cherché à exporter des œufs ; mais les exportateurs ayant éprouvé des pertes du fait que ces ports sont inaccessibles par mauvais temps, choisissent Mazagan, port d’hiver excellent et sûr. Les exportations faites par ce port dépassent donc de beaucoup celles faites par les ports voisins de Casablanca et de Safi.

Le négoce des œufs

Les transactions sont surtout actives de la mi-septembre au commencement de janvier.

Les œufs sont achetés par des marchands dans les souks locaux ou dans les douars environnants ; puis ils les acheminent à la ville.

Ils font aussi leurs acquisitions auprès de producteurs venus de douars éloignés à dos d’âne.

Les petits marchands achètent généralement les œufs sur place dans des endroits qu’ils ont coutume de visiter ; ils les transportent dans un « chouari » garni de paille et dont l’ouverture est maintenue béante par un bâton disposé en travers. Chaque chouari possède une capacité de 500 à 600 œufs.

Les marchands, les plus influents, font leurs achats dans les souks et disposent d’un ou plusieurs chameaux qui portent deux grandes caisses cubiques, renfermant chacune environ 1 000 à 1 500 œufs emballés dans de la paille fine.

Ces deux catégories de marchands sont en fait des courtiers. Ils apportent leurs cargaisons au marché de la ville et passent devant les foundouks à la recherche des plus hauts prix. Chaque exportateur, qui est en fait une sorte d’agent maritime, dispose à cet effet de plusieurs rabatteurs chargés de lui procurer des œufs à un cours fixé. De plus, pour fidéliser les marchands, les exportateurs sont parfois amenés à leur avancer des fonds dénommés « amara ». Cet engagement est matérialisé par un contrat passé devant un « adoul » (notaire traditionnel). L’acte constate le prêt consenti par le négociant. Il y est mentionné la quantité d’œufs à fournir par semaine ou par quinzaine, et surtout l’obligation de les céder à un prix inférieur à celui du cours du jour. Ainsi pour chaque centaine d’unités, le rabais global est compris entre 0.50 Fr et 1 Fr.

Les exportateurs accordent une grande importance à ces avances mais les marchands qui les alimentent sont généralement les moins sérieux. Ils ne respectent pas les quotas convenus dès qu’il se présente une bonne occasion de vendre ailleurs. Au reste, la très grande majorité des courtiers exercent pour leur propre compte et peuvent directement négocier avec les capitaines de navires ; ils sont totalement indépendants et possèdent une grande connaissance des mœurs commerciales du pays. Autrement dit, il serait très difficile de se passer de leurs services ou de leur substituer des étrangers.

Les mireurs

Dès que la marchandise est cédée au négociant exportateur, les œufs sont mirés sur place par des spécialistes Juifs employés dans les foundouks. Le triage ayant été effectué, le négociant prélève un œuf sur chaque centaine et le produit ainsi obtenu est partagé, à la fin de la journée, par parts égales entre les mireurs, le rabatteur et parfois le propriétaire du foundouk.

Les œufs sont alors expédiés dans de grandes caisses rectangulaires à claire-voie en planches de sapin. Ces caisses mesurent généralement 1.70 m sur 0.50 m. Chaque caisse renferme 1 440 œufs emballés dans de la fibre de bois provenant de Suisse ou de France. Le poids total de la caisse varie entre 85 et 90 Kg selon la grosseur des œufs. Aussi, le poids net varie lui même entre 65 et 70 Kg.

Les caisses d’emballage sont importées surtout du Portugal, d’Autriche et de France (région des Landes). Les caisses vides ou les planchettes servant à les confectionner ainsi que la fibre de bois destinée à l’emballage sont importées sous le régime de l’admission temporaire.

Coûts

En 1912, les valeurs d’échange étaient très basses, mais la demande toujours croissante des pays importateurs et l’augmentation de la consommation locale ont fait monter les prix.

Le taux des œufs fluctue sans cesse, celui-ci étant très variable suivant les époques.

Ainsi, en janvier 1921, la caisse de 1 440 œufs était cotée 910 frs à Casablanca, mais les cours s’effondraient vers la fin du mois et tombaient à 525 frs le 1erfévrier, puis à 200 le 1er juin pour remonter progressivement à 610 le 1er novembre.

On peut évaluer ainsi, par caisse, les frais d’exportation par Mazagan :
Coût de la caisse : 9 à 10 francs.

Coût de la fibre de bois : 5 francs.

Emballage, manutention à quai : 3 francs.

Droits de sortie et d’aconage : 10 à 20 francs.

Fret (sur la France) : 15 francs, (sur l’Angleterre) : 10 francs.

Assurance 0.25% : 1 à 1.50 franc.

Le prix du transport de Safi à Mazagan est en moyenne de 10 francs par caisse (caisses de 85 à 92 kilos au cours de 120 francs la tonne).

Le Courrier Régional N° 20