SARDINE D’EL JADIDA le poisson des pauvres se fait rare et ses prix flambent

sardinier.jpg

Un silence oppressant semble écraser le petit port d’El Jadida, en cette morose matinée d’Avril. Le temps parait avoir suspendu son vol, au point où même les mouettes, ces éternelles rieuses, aussi gracieuses qu’énergiques ne sont plus à la fête de tous les jours. Elles préfèrent camper pieusement et par populations entières au sommet des hangars qui longent la darse, dans l’attente de jours meilleurs.

Aujourd’hui encore, la sardine n’est pas au rendez-vous de toutes les attentes. Le maigre butin d’une vingtaine de caisses, ayant pu franchir le grand môle du port, ont été liquidées, bien avant l’aube, au prix de départ avoisinant les 250 Dh l’unité. Une flambée qui défraye toutes les chroniques de vente de ce poisson dit des pauvres, ayant été de tous les temps, considéré comme le principal nerf vital des multiples activités qui gravitent autour du port d’El Jadida. Des prix qui restent à la fois, très loin de la portée des bourses du consommateur, tout autant que des pêcheurs de palangriers et qui, paradoxalement ne couvrent même pas les frais de vivres du sardinier qui a du passer plusieurs heures de navigation pour ramener sa maigre prise à bon port dans la halle d’El Jadida.

La sardine tout autant que le reste des petits pélagiques, dont notamment les anchois, les maquereaux, le sinchards et les sardinelles, ont-ils déserté définitivement les côtes d’El Jadida ? Le phénomène n’est-il que passager, ou au contraire, en relation avec le cycle biologique normal de ces espèces qui sont en pleine période de ponte ? Serait-il question des prémisses d’un épuisement du stock National ? Autant de question qu’on ne peut évoquer, sans nous remémorer la dramatique épreuve du port de Safi, considéré autrefois comme la capitale mondiale de la sardine, abritant plus d’une centaine d’unités de conserves et de transformation de la sardine, mais qui, malheureusement a perdu sa totale vocation, au point de n’héberger de nos jours, qu’une dizaine d’usines, souvent en rupture de matière première.

sardinier.jpg

Port d’El Eadida 1993, sardinier en premier plan chargé de 50 tonnes

Pour cet armateur d’El Jadida, très proche de toutes les évolutions qui touchent le secteur de la pêche sous toutes ses formes, le problème est beaucoup plus grave qu’on ne le conçoit et appelle à une prise de conscience Nationale, pour assurer la continuité de la sardine Marocaine, surtout en ces temps très controversés, où la sécurité alimentaire se dessine comme un devoir des plus prioritaire à l’échelle planétaire. « Le salut des petits pélagiques et principalement la sardine est tributaire en premier lieu d’une réglementation réfléchie au niveau du secteur de la pêche et surtout à l’impératif d’un repos biologique, qui puisse respecter la saison des pontes qui s’étend normalement de Janvier à Avril »
Pour cet ancien Raïs, vieil écumeur des étendues atlantiques, aujourd’hui en retraite, il condamne lui aussi avec grande énergie, le massacre de la sardine, alors qu’elle est pleine d’œufs. Et c’est avec une profonde nostalgie qu’il nous confie « Dans notre temps, nous n’avions pas à aller très loin pour faire cale pleine, parfois même, il nous arrivait d’être dans l’obligation de fractionner les gigantesques bancs de pélagiques, pour ne pas perdre nos filets sous la pression du poids des prises. Pourtant, nous ne faisons qu’une pêche à vue. Seulement, cette technique de pêche dépassée aujourd’hui, assurait au moins à la sardine, un repos biologique naturel, qui découle du fait, que notre pêche se limitait à six mois /an, d’où l’abondance et les prix dérisoires de ce poisson durant la saison estivale. Il faut ajouter à cela, que les sardiniers restaient à quai, durant la pleine lune ou encore lorsque s’annonce un brouillard ou tout autre mauvais temps »

Les nouvelles technologies introduites depuis le fin des années 80, et qui englobent les sonars, les sondeurs et les radars, pourraient-elles occasionner les effets pervers, à même d’entamer un épuisement précoce du stock de la sardine ? Interrogation d’autant plus pertinente que cette modernisation a été accompagnée en 1992, par une refonte de la flotte des sardiniers, dont la capacité initiale qui était de deux tonneaux a été amenée à atteindre les 90 tonneaux.
Selon notre armateur cité précédemment « Ce serait absurde que de s’opposer à toute forme de modernisation du secteur de la pêche, mais cela n’empêche que nous aurions aussi souhaité que les instances concernées puissent accompagner tous ces efforts par des réglementations réfléchies et concertées, pour assurer la bonne gestion de ce secteur clé, qui draine des dizaines de milliers d’emplois directs et indirects, tout en protégeant notre capital pélagique, considéré et à juste titre comme l’un des plus grands stocks dans le monde. Et pour ce faire, il est indispensable de donner à la sardine ses chances de se régénérer de façon naturelle, la prémunissant ainsi de ces courses poursuites, acharnées, sans répits, qui durent toute l’année et qui touchent de nos jours aux sources même de cette richesse »
Le clin d’œil ici est implicitement adressé aux bateaux pélagiques affrétés de 600 à 800 tonneaux, et qui sont considérés par nos sources comme de véritables machines de destruction, opérant dans les sources même de reproduction de la sardine.

L’autre effet à risque qui est montré du doigt, et dont on nous a fait part des répercussions négatives qu’il peut avoir sur la sardine, a trait aux unités spécialisées dans production de la farine de poisson, plus connue sous le nom de « guano ». Initialement autorisée à transformer tous les déchets de poissons, résultant des usines de conserves, pour en dégager une matière à plus value économique, aujourd’hui, on nous fait savoir, que leurs besoins en matière première seraient devenus si grands, qu’on ne rechignerait pas à faire appel à des cargaisons entières de sardine fraiche, afin s’assurer les rotations de ces broyeurs.
Notre chère sardine serait-elle effectivement en danger ? Les chiffres avancés par les milieux spécialisés et qui quantifient le stock disponible au-delà du million de tonnes seraient-il pour nous rassurer ? Dans un cas comme de l’autre, ce serait verser dans un réel gaspillage que de continuer à harceler les petits pélagiques lors de la saison des pontes. Les contre coups pourraient s’avérer latents et les dégâts irréversibles.

Chahid Ahmed

m.ahmedchahid@yahoo.fr