Destin de fous

Hier encore, un aliéné mental a créé un climat de panique dans le centre-ville d’El Jadida. Les projectiles de pierres qu’il lançait à tout va, n’ont épargné ni voitures, ni terrasses de cafés et encore moins les passants. Une scène devenue banale pour les locaux mais qui risque de dégoûter à tout jamais le rare touriste qu’El Jadida se voit aujourd’hui en devoir de ré apprivoiser.
Toujours est-il que ce genre de spectacle choquant n’est pas isolé. A longueur d’année, il peut revêtir différentes facettes et arrive aussi à toucher d’autres quartiers de la ville.
La révoltante scène de cette folle à moitié nue, qui s’adonnait à d’obscènes ébats en plein public sur la place El Hansali ou celle encore du dérangé mental qui se promenait en tenue d’Adam en plein quartier Bouchrit, sont autant de clichés dégradants qui ont sidéré profondément tous ceux qui ont eu à les affronter malgré eux. Cela a de quoi interpeller sérieusement les autorités compétentes à tous les niveaux de décisions et de responsabilités.
Malheureusement, tout laisse supposer que cette catégorie sociale est l’une des rares qui soient encore en dehors de la parenthèse de ces droits de l’Homme qu’on ne cesse de soigner à toutes les occasions.
L’univers parallèle dans lequel semblent évoluer ces marginalisés n’intéresse plus personne tant qu’ils gardent une allure inoffensive. Même des fois où leurs imprévisibles comportements présentent des dangers réels, le recours aux services de la protection civile ne résout pas pour autant le problème de la ville de manière définitive. Il suffit de quelques heures d’absence du côté de l’hôpital Mohammed V, pour que le même détraqué réapparaisse pour hanter de nouveau ses quartiers d’attache. Un véritable cercle vicieux pour cette frange de société livrée à elle-même et qui ne dispose d’aucune structure d’accueil, à part la rue.
Aucun droit à l’asile des aliénés mentaux, pour la simple raison qu’ils sont peu ou presque inexistants. Nulle possibilité d’accès et d’intégration dans les refuges sociaux pour des questions de sécurité… même du côté des prisons, ils ne peuvent “disposer” de cet abri puisque leurs actes sont jugés irresponsables.
Triste réalité pour ces “rebuts de la société” qui n’ont devant eux aucun avenir, sauf celui de se réveiller un jour sous d’autres horizons, sans même y attacher la moindre importance.
Cela nous fait penser à cette belle matinée d’été, lorsque la ville d’El Jadida s’est réveillée sous les regards effarouchés d’une vingtaine d’aliénés mentaux tous dans un état lamentable. Personne n’ignorait alors qu’une “cargaison” clandestine a été livrée à El Jadida. Mais aucun responsable n’a cherché à comprendre et encore moins enquêter sur ce trafic d’hommes malades et tous inconnus dans la région.
Seule réponse que nous avons eue dans le temps, c’est que ce phénomène de déportation était devenu courant et s’est presque banalisé. C’est là, paraît-il, le seul moyen de décompresser une ville lorsque les impératifs d’un changement de look se font ressentir. C’est triste comme réalité. Supposer seulement qu’elle ne puisse pas indigner faussement certaines personnes qui doivent s’y reconnaître .

Chahid Ahmed – Libération du 27 avril 2003