SAHBI CHTIOUI Le sculpteur qui a libéré ses œuvres d’art à El Jadida

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Guy de Maupassant avait bien dit que « Les grands sculpteurs sont ceux qui imposent à l’humanité leur illusion particulière ». L’artiste Sahbi CHTIOUI en fait partie, et ce, malgré sa modestie et son refus de tout exhibitionnisme gratuit. Dans son exposition organisée en Hommage à la ville d’El Jadida, tout récemment, S.CHTIOUI nous a fait rêver et surfer à travers espace et temps, matière et forme, illusion et réalité.

Une trentaine de ses œuvres ont orné le centre-ville d’El Jadida, et ont été l’occasion d’un engouement du public assoiffé et reconnaissant. La ville est sortie de son rôle fonctionnel et commercial et a invité ses visiteurs et habitants à « voir » des œuvres d’art sous des formes multiples, des créations qu’ils n’auraient pas l’occasion de voir ailleurs ! El Jadida-la Ville s’est transformée en Musée ouvert.

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« Il me semble, nous a confié Chtioui, que certaines de mes œuvres, sinon toutes, seraient bien dans ces espaces publics. Elles sont sans doute mieux dans leur place librement que dans des lieux ou des espaces fermés ! Ça montre, ajoute-il, que la rue peut être au service de l’imaginaire, de la création, d’échanges positifs, mais aussi un instant de partage ». Et à notre sculpteur de commenter : « Ce qui compte pour moi, c’est juste ce bonheur de voir par exemple un enfant qui tire ses parents pour prendre des photos avec une sculpture. Oui une femme m’avait dit, « qu’on a voulu aller en France pour voir le Louvre, mais vous nous avez apporté plus que le Louvre chez nous ! ».

Il y a une énergie et une liberté qui m’ont envahi et interpellé, tout particulièrement dans cette manière d’exposer, de m’exposer et de présenter ma création sans filet. »

Sahbi Chtioui, natif de Tunis, en 1953, a derrière lui plus de 45 ans de sculpture et autre métiers d’art dont : le cirque, le dessin, la menuiserie, la gravure et autres. Après un bref séjour en France, où il a suivi une formation à l’École Académique des Beaux-Arts de Montparnasse, il s’est installé au Maroc depuis 1980, à Casablanca, sa ville adoptive, comme il la désigne. Il a pris le risque de continuer son métier d’artisan autodidacte, celui d’être sculpteur, malgré le refus dont avait fait l’objet, son vœu d’intégrer l’Académie des arts de Tunis, faute de qualification et de niveau.

Pourquoi le Maroc ? Sahbi Chtioui répond : « C’est le destin ; et je ne peux pas refuser mon destin ! Je suis un belliqueux et de sale caractère. Je suis un Albatros, mais aussi un Sphinx. Pour moi, le Maroc est un choix ! J’ai cherché le Maroc, comme le marin cherche son port. Et si c’était à refaire, je le referai. L’œuvre de Gibran Khalil Gibran, « Le Prophète », était une étincelle qui m’a permis de quitter la Tunisie et de rejoindre le Maroc. »

Comme beaucoup d’artistes, le chemin de Chtioui n’a pas été une ligne droite menant à la réussite, mais un chemin périlleux, l’ayant obligé à emprunter de nombreux détours. Son abstinence, sa détermination et son côté « belliqueux », comme il le qualifie lui-même, l’ont poussé à poursuivre ses recherches personnelles. Il se consacra à son art, la sculpture, explorant différents thèmes, liés à la vie, les formes, les signes, les volumes et surtout au Cheval, entre les figurations stylisées et l’abstraction.

Chez Sahbi, tout est symbole et revient à la nature. Tout est lié au destin, à la naissance, à la vie, au mot ou les mots et finalement à la création. Il n’aura de cesse d’intégrer l’esprit dans son art. Ce dernier, comme il le dit lui-même, éveille en lui et sans cesse, de merveilleuses passions et vocations. C’est ce que notre artiste a essayé, et essaye toujours de nous transmettre et de nous faire partager à travers ses œuvres : « J’essaye d’alléger le quotidien, et je ne veux pas peindre les souffrances, ni dramatiser les situations. Je n’invente rien et le quotidien m’inspire. Les détails dans mes œuvres incitent au regard et à l’observation. Puisque, chez nous, malheureusement, on n’a pas ou plus, le sens du regard, ni du détail ! Ce dernier est en train de nous échapper. »

Comme ses œuvres, Sahbi Chtioui, vous pousse à ne pas prendre de distance, mais, au contraire, à l’approcher et à vous l’approprier. Il vous incite à lui tenir compagnie ou à « le prendre comme compagnie ». Sa maîtrise de la matière reflète et incarne sa maîtrise du verbe. Mais il sait dire non quand il le faut, comme il sait faire des concessions entre son œuvre en tant qu’idée et la technique et aussi la matière ! « J’ai travaillé, nous a-t-il confié encore une fois, j’ai fait dire à la matière l’inexprimable. Je me crois enfin vainqueur d’avoir dépassé la matière ! » Pour lui, la conclusion de tout son travail est questionnement. Sa dernière œuvre n’est-elle pas ce grand point d’interrogation ?

Un autre Chtioui (un Sphinx) est né chez les Doukkala. Le cas étant qu’il existe un lien de parenté entre les Chtioui et les Doukkalis, ces derniers étant les oncles de ses quatre enfants. Il s’agit plus précisément de ceux de Had Ouled Frej, dont est issue son épouse et ange gardien, comme il aime l’appeler. « J’ai un lien de cœur avec le Maroc, et un autre de sang avec El Jadida à laquelle j’ai rendu hommage à travers mon exposition. Et je compte récidiver, malgré mes contraintes ». M. Mouaad JAMAI, durant l’ouverture officielle du Festival REMP’ARTS, organisé à Azemmour, ce même mois de Mai, l’avait surnommé le « Maroco-tunisien ou le tunisio-marocain, l’homme au grand cœur. »

L. Mabrouk BENAZZOUZ