AZEMMOUR : La ville de celui qui a découvert les côtes Est de l’Amérique du Nord.
«De la ville d’Azemmour au village de Fès». C’est l’expression qui, outre quelque exagération, nous renseigne sur l’ancienneté historique véridique d’une ville qui, durant deux millénaires, restera au cœur de l’histoire de Doukkala.
Azemmour, mot d’origine berbère qui signifie olivier sauvage, surplombe le fameux fleuve d’Oum Errebia, le fleuve Azama ou Azana des textes latins autrefois navigable et dont la pêche des aloses est restée répandue jusqu’à il y a moins de 20 ans. Si rien n’est archéologiquement concret sur le passage des Romains, les navigateurs phéniciens bien avant eux avaient sûrement escalader le fleuve et explorer son estuaire. Cependant le passage de Oukba et de Moussa ben Noussair, les deux vétérans de la conquête islamique, est attesté. Oukba y aurait même construit une mosquée. Le futur grand Calife Omar ben ‘Abdelaziz aurait aussi effectué une mission à Azemmour, envoyé par Moussa.
Azemmour prend de l’ampleur sous les Idrissides puis beaucoup plus sous toutes les dynasties suivantes, des Almoravides aux Alaouites. Les monuments actuels de la médina d’Azemmour portent la marque de toutes ses dynasties, marque mêlée aux témoins tangibles de l’architecture portugaise et par là de l’architecture européenne de la Renaissance.
Azemmour fut prise d’assaut par les Portugais le 03 Septembre 1513. Ils la quitteront, forcés par les sâadiens, en 1541. La Capitainerie (ou Bastion saint Christophe), le Bastion Sidi Oua‘doud, la tour qui amorce le réduit défensif et la porte même de ce réduit de la garnison, ainsi que les canonnières sur la muraille et les tours témoignent tous de l’épopée de ce petit pays qui a imposé sa loi et sa culture à un grand nombre de contrées dans le monde.
Les façades des bâtiments et monuments, le dédale des rues et ruelles de la médina, ajoutés à l’allure sans égale de la muraille, tous ça nous met devant une synthèse fortuite mais historiquement raisonnable de l’architecture berbère, islamique, européenne, civile et militaire, une synthèse bien réussie qui illustre bien l’histoire universelle de cette ville qui a connu la cohabitation des trois religions révélées, la coexistence de peuples de races différentes. C’est à Azemmour où l’on peut voir sur un monument le cachet marocain suivi par la marque portugaise laquelle est émaillée ensuite par un retour réussi du made in Morocco. A ce titre, il suffirait de contempler la muraille sublime et ses tours sensuelles et ses bastions imposants pour pénétrer l’âme de ce géni et l’âme de cette ville éternelle et cosmopolite.
Le sacré et le mystique entourent Azemmour de tout coin. Une sensation particulière et attachante prend tous visiteurs de la ville. L’histoire amoureuse, échouée, de Moulay Bouchaib et Lalla ‘Aïcha Al Bahriya continuera d’enflammer les sens et de régner sur toutes les générations et sur tous les hôtes de la ville de Moulay Bouchaïb.
La nature rajoute à ce romantisme ou elle en est l’essence peut-être. En effet, l’embouchure d’Oum Errabia et la plage et forêt de Haouzia créent une sensation particulière chez l’habitant et le visiteur. Est-ce cela, ajouté à une longue et riche histoire, qui donnera une floraison artistique qui dépasse de loin les dimensions urbanistiques d’une si petite ville !! Azemmour sera un fief du Malhoune parvenu de Tafilalt, un lit fécond des arts plastiques que nous illustrent Chaïbia, Habbouli, Rahoul, Al Azhar entre tant d’autres. Azemmour, avec Sidi Bennour, tient aussi le flambeau de la ‘Aïta de Doukkala, en parallèle avec la ‘Aïta de ‘Abda. Azemmour rassemble également tout le prestige des arts traditionnels de Doukkala, en témoignent la tapisserie, la broderie, l’art culinaire, le tatouage… Le dragon brodé en grenat, que les Marocains ne connaissent pas bien malheureusement, est un symbole d’une culture raffinée et d’un savoir-faire sans égal d’une région qui doit se sentir timide en comparant son présent à son passé.
Enfin, on est dans l’obligation d’apprendre à tout le monde que les côtes West des Etats-Unis d’Amérique actuels, furent découvertes par un Marocain, un zemmouri de surcroît. Rebaptisé Estebanico, (Mostapha Ben Haddou ?), était cet esclave marocain revendu par un Portugais sur le marché espagnol. Il accompagnera son nouveau maître, un gentleman aventurier parti en quête de la rivière de l’or dans la nouvelle Amérique. Les galériens succomberont, ainsi que les maîtres aux vagues de l’Atlantique et aux attaques des Indiens. Notre zemmouri prendra les commandes après la mort de son «propriétaire». Par son intelligence marocaine il s’imposera en tant que chef, gagnera les âmes des Indiens qui le couvrirent de plus beaux cadeaux du monde, leurs filles en l’occurrence. La rivière d’or se révèle un mythe, l’on découvre néanmoins ces nouvelles côtes des Indiens du Nord (Actuel USA), mais c’est aussi l’intelligence du marocain qui finira par mettre fin à sa vie. Les Indiens avaient jugé qu’il les a trahi par ses manies. En commémoration de cette épopée, les Américains lui ont élevé récemment une statue à son effigie.
MAZAGAN (AL-JADIDA) :
Mazighan des textes arabes médiévaux, Mazagão des Portugais ensuite, Al Mahdouma et enfin Al-Jadida, ces noms illustrent l’histoire mouvementée de tout un pays. Si le site actuel d’Al-Jadida fut d’abord peuplé par les Berbères marocains qui ont marqué leur présence par quelques constructions que l’on ne peut retrouver aujourd’hui, Mazagan se révèle au monde avec la pénétration portugaise.
Etablissant des relations commerciales avec Azemmour, Safi et Mazagan depuis la deuxième moitié du XV ème siècle, les Portugais manifestent ensuite leurs intérêts expansionnistes et prennent Mazagan en 1502. En 1514, une première citadelle est achevée, un chef-d’œuvre que l’on ne trouve nulle part dans le monde lusitanien (=portugais), c’est l’actuel joyau de tout le Maroc, la citerne portugaise à moitié souterraine et aux 25 colonnes inédites. Sur sa terrasse, on peut encore voir les vestiges de la première église, celle dite de la Miséricorde.
En 1541, la citadelle est agrandie pour devenir une forteresse, une première du genre au Maroc et dont on n’aura plus du similaire. Suivant un plan magnifique de l’Italien Benedetto di Ravenna, qui nous rappelle les esquisses de Leonardo da Vinci, la forteresse prend la forme séduisante d’une étoile à quatre branches. Les murailles ne sont plus rectilignes, mais savamment infléchies en leur milieu vers l’intérieur et dont les extrémités (intersections) sont terminées par des bastions très chic mais qui doivent faire peur à tout assaillant de cette place forte. Le chemin de ronde qui constitue le circuit pittoresque sur la muraille fait presque 10 m de large, pour laisser circuler les chariots porteurs de canons massifs de cette Europe renaissante. Le parapet de la muraille est percé de canonnières aux bords en pierre qui suscitent l’admiration. De ce chemin de ronde l’on a aujourd’hui une vue prenante sur toute la ville, sur l’océan et sur Azemmour et le Golf Royal de Haouzia.
De nos jours, l’on peut encore admirer l’art gothique et de la Renaissance à travers les éléments de la citerne et des deux églises restantes des quatre qui se trouvaient à l’intérieur de cette petite enclave qui tournait le dos au continent, ouverte sur l’Océan et savamment défendue par un fossé qui prolongeait les accolades de l’amant de Mazagan, l’Atlantique, dans une complicité bénie par les Dieux.
Ce n’est qu’en Mars 1769 que Sidi Med b. ‘Abdallah parviendra à libérer Mazagan. Elle restera déserte pour environ 50 ans et devint presque en ruines, d’où son appellation Al-Mahdouma. Sous Moulay ‘Abderrahmane (1822-1859), l’ordre est donné pour repeupler la ville, ce qui sera chose faite et l’on rebaptise la ville du nom d’Al-Jadida, la neuve, en signe de purification d’une contrée occupée jadis par les infidèles. La Grande Mosquée qui épouse l’ancien Palais du Gouverneur de la forteresse et dont le minaret est l’ancienne tour de vigie est l’acte spirituel de la ressuscitation de la ville islamique. Une ville où l’on n’a pas détruit les bâtiments des chrétiens portugais ni les synagogues. Deux siècles après, Al-Jadida oublie le colonialisme et s’enorgueilli des chef-d’œuvres dont la France l’a dotée, tels le Théâtre Municipal, Bank Al-Maghrib, la Trésorerie, la Douane et autres édifices que l’on ne peut pas ne pas admirer en passant par cette ville, même en visite d’affaire.
RIBAT TIT (Moulay ‘ABDALLAH) :
Moulay ‘Abdalla se baladait en mer Atlantique sur la peau de mouton (Hidoura). C’est l’un des signes de la baraka de l’un des saints le plus réputé de toute une lignée de chorfas Amghariyine.
Moulay ‘Abdallah Amghar n’est pas le fondateur de Ribat Tit N’Fter (Ribat Aïn al fitr). Mais il lui donnera un rayonnement qui lui conféra une place particulière dans l’histoire de Doukkala et du Maroc en général. Ribat Tit serait élevé avant la fondation de Marrakech, comme le laisse présager certaines indications historiques. En fait, ‘Ali b. Youssef b. Tachefine demandera conseil auprès My ‘Abdalla Amghar en ce qui concerne la construction de la muraille de Marrakech.
Cette affinité amgharo-Almoravide puis Amgharo-Almohade, on la retrouve manifestement à travers la muraille du ribat, ses portes et les édifices qui en restent, à savoir la Tour coupée, la Grande Mosquée et le Mausolée, mais aussi à travers le docte de l’Imam Malek que les Amghariyines et les Almoravides avaient pris pour référence.
La particularité et la singularité du Ribat furent authentiques à deux niveaux : Le Ribat est d’une part une fondation familiale, confrérique, et non monarchique et, d’autre part il a su gardé son indépendance du temps des Almoravides, des Almohades et même sous occupation portugaise.
Rissani : 2004
Aboulkacem CHEBRI
Archéologue-restaurateur
Directeur du Centre du Patrimoine Maroco-Lusitanien
Bd Mohamed VI – EL JADIDA
marocarcheo@yahoo.fr
cultmorocoportugais@menara.ma