Les côtes d’El Jadida sont-t-elles devenues stériles, au point de perdre irrémédiablement leur statut de paradis de la biodiversité sous-marine ? Cette situation anachronique découle-t-elle d’un phénomène cyclique qui laisserait un peu d’espoir ou serait-ce là le point de non retour dont les causes seraient bien déterminées pour ne pas dire préméditées ?
Serait-il équitable de pointer le doigt accusateurs uniquement vers la perversité de certaines unités industrielles tout en passant sous silence d’autres actes d’égale adversité et dont les instigateurs ne sont autres ceux-là mêmes qui vivent des produits de la mer sans pour autant assimiler les notions d’équilibre écologique ?
Dans tous les cas de figure, il s’avère aujourd’hui que la responsabilité d’une imminente « désertification » de nos côtes est bel et bien partagée et son dénominateur commun qui associe divers intervenants s’appuie sur le seul besoin de créer de la richesse au détriment de cette même source de richesse.
Le temps de l’alose et des « peskerias »
Rares sont les nostalgiques qui se remémorent ces temps perdus à jamais, quand la ville d’Azemmour représentait la capitale incontestable de l’alose. Une richesse d’exceptionnelle importance, ayant suscité toutes les convoitises des Portugais de l’époque, au point de constituer un lourd tribut imposable à la ville, et que les bateaux des conquérants raflaient par cargaisons entières à destination de leurs ports d’attache.
Aujourd’hui, cette ville ne conserve plus que les sentiments de regrets, des bribes de souvenirs et quelques notions des temps de l’alose, immortalisés par l’histoire. La main de l’homme a fait le reste, elle a été pour beaucoup dans la disparition irréversible de cette espèce, dont les derniers survivants ont désertés les rivages d’Azemmour depuis plus de vingt ans.
Dans ce même contexte, nombreux sont les indicateurs et témoignages qui attestent que la côte d’El Jadida représentait autrefois l’une des zones où la biodiversité sous-marine était des
plus florissantes.
La vingtaine des « peskerias », qui datent du temps des Portugais et qui sont tous à l’abandon aujourd’hui, nous rappellent encore ces temps perdus à jamais où le poisson était à portée de main. Les « peskerias » ou « Bouchkira » en terme local, qui jouait le rôle de « viviers naturels », ont été mis en place par les Portugais pour s’assurer d’une réserve en poissons frais et disponible en abondance par tous les temps. Ce sont des sortes de murets en pierres, construits à même la roche et de manière à ce que les poissons qui s’y aventurent à marée haute, n’ont aucune chance d’en rechaper quand la mer se retire.
On y trouvait des quantités considérables de poissons comme les mulets, les dorades, les sars, les céphalopodes et mêmes les petits pélagiques.
Si nous avons opté pour cette plongée dans les tristes annales de la vie sous-marine des côtes d’Azemmour et d’El Jadida, en guise d’introduction, tout en remettant au devant de la scène cette catastrophe écologique, notre objectif est de tirer la sonnette d’alarme, et rappeler aux bonnes consciences que les dangers auxquels est confrontée aujourd’hui encore la faune marine et sa flore sont omniprésents, au risque de porter gravement atteinte à la biodiversité de toute la côte du Doukkala.
L’Agar Agar ou l’or blanc
Aujourd’hui encore, l’exemple le plus frappant, qui n’a jamais cessé de mobiliser l’attention des chercheurs scientifiques, de la société civile et des organes de presse toutes tendances confondues, a trait au pillage systématique qui frappe impunément les algues rouges (Gelidium Sesquipédale), très recherchées pour leur Agar Agar aux caractéristiques particulières. La Province d’El Jadida détient le plus important stock National de cette algue, plus connue localement sous le nom de R’bia.
Certains indices reconnus officiellement, nous font craindre le pire. Au cours de ces derniers temps, la densité de ce produit qui était autrefois très abondante, est passée de 6 kg/m2 en 2000 pour atteindre le seuil critique de 0,7 kg en 2006. Des chiffres qui parlent d’eux même, et qui ont tendance à accuser des chutes plus terrifiantes encore, si l’on considère cette surexploitation qui dépasse toutes les limites de l’entendement: 8000 tonnes d’algues sèches déclarées, et plus que le double selon des observateurs avertis, en l’espace des trois mois où la cueillette est autorisée. Un grand gâchis qui perdure sous l’œil d’une commission de contrôle dépassée par les événements et en l’absence totale de toute stratégie Nationale de préservation de cette denrée, certes de grande valeur ajoutée, mais qui joue tout aussi bien un rôle fondamental dans l’ équilibre biologique des milieux marins concernés.
Sinistrose
Mais l’hécatombe ne s’arrête pas à ce niveau là. Aujourd’hui, les razzias frappent sévèrement les oursins, les concombres de mer, la palourde et l’ormeau, sans les moindres considérations réglementaires, et encore moins environnementales. Des monticules de carcasses d’oursins jonchent toute la côte, et des tonnes des autres fruits de mer, dont certains sont très recherchés pour leurs vertus aphrodisiaques alimentent un marché noir aux circuits indéterminés.
Tous ces ravages qui sont d’une intensité cruelle et dont les commanditaires n’obéissent qu’aux seules règles d’une demande étrangère très intéressée, ne peuvent être que le prélude d’un enchaînement de déséquilibres et de leurs effets secondaires de plus en plus pressentis. Les conséquences directes enregistrées de nos jours sont notables. les plateaux rocheux des côtes d’El Jadida, où foisonnaient autrefois tous ces fruits de mer, sont devenus sinistres, sans vie, et selon certaines sources proches des milieux, les pilleurs sont maintenant obligés de s’aventurer plus loin encore et en profondeur, pour traquer ce qui reste de ces populations sous marines.
Dorade royale…rien qu’un souvenir
Difficile de soulever cette problématique, au centre de laquelle la vie marine sur les côtes du Doukkala est au plus mal, sans parler de cette fameuse dorade royale que tous les professionnels de pêche à la ligne apprécient jusqu’à l’adoration. Ouled Rhanem représentait un véritable vivier pour cette espèce. Un incontournable lieu de pèlerinage pour les pêcheurs à la ligne Nationaux et étrangers, qui affluaient à Ouled Rhanem par convois, pour taquiner la dorade royale, dont le poids pourrait atteindre les 10kg.
Hélas, Ouled Rhanem ne représente plus aujourd’hui qu’un paradis perdu. La dorade royale se fait de plus en plus rare, sans qu’on se pose trop de questions sur les raisons de sa disparition. Pour certains mordus de ce genre de pêche, on évoque souvent les migrations naturelles, ou encore les effets de pollution en relation avec l’activité industrielle des unités de Jorf lasfar.
Mais grande fut la surprise ces derniers jours, en découvrant sur l’étalage d’un marchand de poissons des centaines de pièces de cette même dorade, dont le poids ne dépasse guère 25 à 50 grammes, et qui sont destinées à la vente par colliers. En guise d’information, on nous fait savoir que la scène de ce massacre se passe justement à Ouled Rhanem. Le nombre impressionnant des petites barques qui opèrent dans la zone avec leurs filets, n’a laissé aucune chance à la régénération de cette espèce noble. Des milliers de ce poisson encore au stade juvénile, sont piégés par des filets dont les propriétaires sont inconscients de leurs actes, et de la spirale des bouleversements qu’ils déclenchent… Serait-ce là, l’une des raisons qui ont précipité la disparition de la dorade royale, au grand désespoir de tous ses adorateurs, pêcheurs à la ligne comme consommateurs?
La conscience en question
En tout cas, les constats sont là, palpables, choquants… Quant à l’avenir de la vie sous-marine sur les côtes d’El Jadida, on ne peut le deviner sans verser dans le pessimisme. Aujourd’hui, il s’avère que l’unique et fragile fil d’espoir auquel s’accroche toujours cette gracieuse et généreuse côte, reste tributaire des seuls pouvoirs de la conscience humaine.
Chahid Ahmed