Un scandale sans égal et une flagrante atteinte aux plus élémentaires principes et règles de la dignité humaine. Ces mots qui pourraient paraître trop forts pour certains, ne sauront jamais décrier avec le ton et la verve qu’il faut, le terrible destin de ce jeune homme de 23 ans, dont nous avons croisé le chemin dernièrement, au hasard d’une randonnée au cœur des terres de Doukkala et plus précisément dans la région d’ouled frej.
La scène à laquelle nous avons été confrontés ce jour là, est choquante, intensément douloureuse et même terrifiante.
Sous une petite hutte de fortune, faite de roseaux et couverte de plastique, qu’on réserve aux serres de cette région irriguée, un être humain brave encore l’ingratitude de ses semblables qui l’ont condamné à l’isolement dans des conditions des plus effroyables.
Cela fait 14 ans, que ce jeune homme, qui a dû en passer une partie de son enfance, survit dans cet état, accroché à une corde et reposant son frêle corps à même le sol de cette riche et féconde terre des Doukkala. Le seul décor qui meuble ses interminables jours et nuits, se résume à quelques feuilles épineuses de cactus que les siens ont placé à l’entrée de son « terrier », pour le protéger contre l’agressivité des chiens errants et sans doute pour le dissuader de fuir au cas où ses entraves arriveraient à lâcher.
Un véritable enfer que ne peut supporter aucun être humain, confronté durant toute cette éternité, aux longues périodes de canicules d’été et aux nuits hivernales glaciales que connaît souvent l’arrière pays d’El Jadida.
Son seul et unique délit, se résume tout simplement au fait d’être frappé d’une maladie mentale dont il souffre depuis son bas âge, et surtout d’avoir des parents sans la moindre ressource, se débattant comme ils le peuvent dans une misère excessive leur interdisant toute autre alternative pouvant assurer une meilleure existence à leur enfant.
Moulay tahar, c’est ainsi que ses parents l’avaient appelé un jour de printemps de l’année 1985, comme ils continuent à le nommer même de nos jours. Moulay tahar où ce qui en reste aujourd’hui est l’aîné de ses sept frères et sœurs, n’ayant tous jamais connu le cycle de la scolarité et qui vivent dans la précarité des petits emplois saisonniers et à la sauvette. Certains d’entre eux ont déjà déserté le foyer de la misère pour des raisons qu’on ne saurait ignorer, alors que le reste de la famille continue le combat des jours pour s’entasser ensemble dans le même refuge familial, représenté par une seule et unique pièce couverte de taule ondulée.
Pour les parents de moulay tahar, le déchirement est aussi intense que le calvaire qu’endure au quotidien et devant leur impuissance leur enfant ainé, dont ils évoquent le destin avec cette récurrente fatalité, toute coutumière aux gens de nos campagnes. Leur dilemme qui est aussi difficile à saisir qu’à condamner ne peut laisser indifférente cette conscience humaine que chacun de nous conserve au fond de lui-même, et qui ne peut manquer de vibrer face à une situation qui échappe au contrôle d’une famille aux abois et d’un jeune, malade qu’on sacrifie sur l’autel de la misère, de l’ignorance et de l’indifférence de l’autre.
Le cas de Moulay tahar, est un drame social qui ne manquera pas de se répercute sur l’ensemble de cette famille, livrée à elle-même et tiraillée entre son impuissance à livrer bataille contre les malheurs d’un terrible destin et sa ferme volonté de ne jamais accepter de livrer son enfant aux aléas de l’errance, comme le font d’autres, pour soulager leur conscience.
Combien d’autres Moulay tahar existe-il dans le Doukkala, comme à travers tout le pays ? Aura-t-on jamais le courage politique et le devoir intellectuel et humain d’ouvrir ce dossier que tout le monde repousse comme il repousse ces fantômes qui le meublent et le hantent ? Quelles alternatives peuvent avoir les malheureux parents frappés par la même malédiction, et en l’absence de structures médicales et d’accueil, sinon livrer à la nature une partie d’eux même ou étouffer leur « honte », par les seuls moyens d’ont-ils disposent ? S’est-t-on jamais interrogé sur le nombre de ces disparitions que ne cessent de nous rapporter les appels de l’émission « Moukhtafoun », et dont bon nombre a trait à des malades mentaux de tous horizons et de tous âges ?
Autant de questions que nous laissons à la méditation de tous les responsables, comme nous laissons le cas de Moulay tahar de Doukkala entre les mains des âmes charitables et des associations à caractère socio-médical qui écument la Province.
A signaler que Moulay tahar a été lavé, rasé et habillé décemment, comme il a été débarrassé de ses liens, avant d’être pris en photo, afin de ne pas heurter les sentiments de sa famille.
Chahid Ahmed – Libération du 26-03-2008