L’air d’El Jadida est fortement chargé d’électricité ces derniers temps. Non pas que les orages de l’hiver agonisant, aspirent à prolonger un peu plus leur séjour dans l’atmosphère de cette belle contrée du pays, ou que les hautes tensions générées par la centrale du coin laissent traîner dans leur sillage une partie de leur voltage en guise d’offrande à la population locale.
Loin s’en faut. Le champ électrique qui a tendance à tétaniser la ville d’El Jadida est d’un genre tout à fait particulier. Il ressemble beaucoup plus à celui que libèrent les chocs des grands intérêts particuliers, les virulents tiraillements de la cupidité, la grogne des loups jamais rassasiés, les jappements de la meute quand elle est lâchée, ou encore le fracas des tirs croisés qui couronnent généralement ces fatidiques moments du partage… des butins des guerres sales.
En abordant ce sujet dont les filigranes relèvent assurément du mercantilisme ravageur que de la politique dans son sens positif, je ne sais pas pourquoi une vieille anecdote, bien de chez nous, a accaparé mon esprit avec entêtement au point de m’obliger à la partager avec vous.
Cela se passait en 1942. Les deux paysans Doukkalis qui bravaient stoïquement le cours du temps et les ardeurs d’un soleil tapant, étaient adossés en toute aise à un muret de pierres sèches tout en contemplant dans l’indifférence le débarquement des troupes des alliés et leurs engins de mort sur cette plage de la région.
A la longue, ce remue ménage incessant a fini par intriguer l’un des hommes qui demanda à son compagnon « Mais pourquoi ces étrangers n’arrêtent-ils pas de s’entretuer en faisant la guerre ? »
Ce dernier, l’air plus savant lui rétorqua avec emphase « Ignorant que tu es ! Ne comprends-tu pas qu’ils se massacrent pour nous ? »
Incrédule, le pauvre paysan jeta un regard dubitatif à ses pieds nus aux orteils cabossés, scruta longuement la série d’arabesques surréalistes que la crasse a dessiné sur les longues et maigres jambes, se gratta énergiquement sous les aisselles avant de murmurer « C’est sur ce que tu dis là…sommes nous si précieux pour que tous ces hommes se battent rien que pour nous ? »
Autre temps, autre contexte, même amalgame. Aujourd’hui et suite à tous ces tirs croisés qui amusent les gestionnaires de la chose communale de la ville d’El Jadida, le citoyen est légitimement en droit de s’interroger sur le pourquoi de ces guéguerres claires obscures, en se posant la même question que ce pauvre et crédule paysan « Sommes-nous si précieux pour que nos conseillers se battent rien que pour notre bien être ? »
La réponse à cette interrogation, nous la laissons aux citoyens. Toutefois, il ne faut pas être sorcier pour comprendre que les regards de nos supposés défenseurs sont braqués ailleurs et que tous ces shows de piètre qualité n’intéressent même plus les enfants des quartiers du coin.
Est-il encore temps pour rappeler à nos représentants que les grandes portes de la démocratie, ouvertes par la volonté des plus hautes instances de l’Etat, n’admettent pas qu’on les franchisse avec fracas et dans la clandestinité ?
Nos gestionnaires sont-t-ils conscients qu’ils sont aujourd’hui au centre d’une province des plus stratégiques pour l’économie du pays et que la mission prioritaire qui leur a été assignée par la voix du peuple est d’adhérer à cet élan national ?
Faut-t-il attendre que des mains propres viennent secouer ce cocotier, comme cela a été fait ailleurs pour que la raison reprenne ses droits sur la déraison ?
En tout cas, ce qui est sur, c’est qu’aux temps actuels, ni le simple citoyen ni les hautes sphères du pays n’auront la patience d’assister en spectateurs face aux piétinements qui peuvent porter préjudice aux multiples défis que doit relever toute la nation. Et cette vraie bataille censée assurer notre avenir à tous doit impérativement commencer à partir de ce premier noyau de la chaine qu’on désigne sous le nom « Entité communale ».
Chahid Ahmed – Le Courrier Régional N° 21