Depuis la nuit des temps, l’homme et son espace maritime ont fait bon ménage au sein d’une intelligente cohabitation qui se substitue souvent à la connotation « Civilisation ». Et c’est sans nul doute cet instinct inné qui sommeille au fin fond de chaque individu qui est à l’origine d’une telle symbiose entre l’homme et son littoral, d’où la centralité de mer et des océans dans le comportement des populations et aussi dans leurs besoins d’expansion.
Il faut dire que la morphologie de chaque zone littorale et l’aisance de son accessibilité ont été déterminantes dans tous les processus de sédentarisation et de création de richesse.
Dans ce contexte là, on ne peut risquer d’être contredit, en soulignant que la nature a doté la Province d’El Jadida d’un trait de côte des plus remarquables, qui se caractérise par une grande diversité morphologique où plusieurs types de côtes des distinguent nettement avec tout ce qui en résulte comme richesses et avantages maritimes.
La civilisation ma mer
En nous référant à la ville d’Azemmour qui trône depuis des temps immémoriaux sur le piédestal de son embouchure, il nous est difficile de passer outre le rôle que détient l’Oued Oum Errabii et son estuaire dans la naissance et le rayonnement qu’avait connu cette doyenne des Cités Marocaines.
Un peu plus au Sud, c’est la baie d’El Jadida et son sable fin qui est à l’accueil. Protégé par une barrière sous marine naturelle, cet espace maritime qui est des plus dociles, a depuis toujours suscité la convoitise des écumeurs de la mer,
L’histoire ne nous rapporte-t-elle pas que c’est en raison des avantages que présente cet abri naturel que le premier noyau urbain de l’actuelle El Jadida s’est mis en place ? Selon Najib Cherfaoui, ingénieur en ponts et chaussée, El Jadida se situe au fond d’un d’une baie à l’ombre du cap dit de Mazagan. Ce dernier qui se présente sous forme de roches plates découvrant à marée basse à environ 1000 m de la côte, se prolonge aussi par une chaussée sous marine longue de prés de quatre kilomètres et orientée vers l’ENE. Cette dalle protège efficacement la rade du fait qu’elle dévie la houle et facilite le mouillage des barcasses même par gros temps.
Beaucoup plus loin, c’est Oualidia (Qui relève aujourd’hui de la Province de Sidi Bennour) et la virginité de son complexe lagunaire qui ont fortement marqué la côte des Doukkala. Baptisé « Mysocoras » par les Grecs puis « Marça Al Ghaït » par les Arabes du moyen âge, le petit port naturel de Oualidia était des plus fréquentés jusqu’au XVème siècle. Et cette notion de port a été décidée tout d’abord par le Sultan Sâadien Moulay Zidane pour concurrencer les Portugais de Mazagao, puis reprise par en 16 34 par son successeur Moulay El Oualid. Seulement, le projet du port à échoué pour des raisons techniques relatives aux problèmes d’ensablement, au moment où naît la Kasbah de Oualidia, en référence au nom de son bâtisseur (Fulgurance : Ports du Maroc, des origines à 2020).
Entre ces trois grands pôles, le littoral de la province d’El Jadida s’offre dans les couleurs d’un splendide bouquet, garni par une multitude de petites plages enchanteresses, de plateaux rocheux, de falaises argileuses, de lagunes primitives, de salines et d’un Cap Blanc…Une véritable zone laboratoire, où toutes les études qui y sont menées peuvent être transposées à d’autres côtes marocaines.
Toujours est- il qu’au-delà de la valeur paysagère indéniable qui caractérise la singularité du littoral d’El Jadida, ce dernier constitue également un patrimoine biologique de première importance. La richesse de cette biodiversité est d’autant plus spectaculaire qu’elle est sujette à l’influence d’un phénomène océanographique majeur, que les scientifiques ont inscrit sous l’appellation « d’Upwelling ». Cela consiste, selon Assobhei Omar, coordinateur National de la REMER « aux remontées d’eaux froides du fond de l’océan, connues pour leur richesse en nutriments, et ce, suite au déplacement des masses d’eaux marines superficielles vers le large ». Ce perpétuel mouvement naturel qui conditionne la vie sous marine d’un large pan de la côte de la Province et dont on ressent l’impact direct au niveau de la plage de Sidi Bouzid et ses eaux glaciales, est considéré comme un atout déterminant pour la biodiversité des zones concernées. Une richesse qui est aussi omniprésente sous la forme d’immenses gisements de Gelidium, cette espèce d’algue plus connue localement sous le nom de R’bia et qui a pris pied sur une large zone de la côte de la Province.
Les temps d’une rupture
Une lecture très attentive des multiples éléments qui meublent le littoral de la Province d’El Jadida et dont on n’a fait ici, qu’effleurer les composantes et leurs interactions, nous ramène incontestablement à cette dualité qui a alimenté tout au long de ces dernières années les conflits entre l’homme et la mer. L’homme et ses activités compétitives, la mer et son droit au respect. L’homme qui est dans le besoin de se développer économiquement, la mer qui ne peut supporter des agressions dépassant ses capacités d’absorption.
Au niveau de la province d’El Jadida, les premières étincelles de ce conflit sont très récentes, puisque leurs prémices ne se sont fait annoncer qu’au tout début des années 80 du siècle dernier. Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est la tendance au développement de cette région, jusqu’alors considérée comme vierge et sous exploitée qui a déclenché ce processus considéré comme irréversible.
On n’avait donc pas à plonger trop loin dans le passé pour localiser cette ligne d’inflexion qui nous met aujourd’hui en face de ce qu’on peut appeler la nouvelle ère environnementale d’El Jadida.
La flambée des prix du phosphate qui a dépassé le seuil euphorique des 64 dollars la tonne, durant les première années 70, relayée par la prompte réaction de l’état qui fut appelée à valoriser cette richesse naturelle par le lancement de plusieurs unités de fabrication de produits à haute valeur ajoutée, ont été à la base de la réalisation, en 1982, du port de Jorf Lasfar. Une des plus grandes plate formes portuaires à caractère minéralier et dont l’emplacement se situe à mi-chemin entre Casablanca et Safi et à égale distance des trois gisements phosphatiers de Khouribga, Youssoufia et Ben Guérir.
Et c’est dans ce contexte là que la Province d’El Jadida, qui a été longtemps confinée dans sa vocation agricole et son attractivité balnéaire, s’est soudainement retrouvée ouverte sur ses grands horizons de deuxième pôle économique du Pays.
Mais si le choix de cette stratégie a imprimé un véritable tournant dans la dynamique socio-économique de toute la région, il n’empêche que cela a aussi servi de détonateur à une réaction en chaine, inéluctable en pareille situation.
Les conséquences de cette orientation se sont traduites sur le terrain, par des implantations industrielles gigantesques et de plus en plus osées, des afflux énormes d’une main d’œuvre appâtée par les mirages de l’emploi et une sédentarisation effrénée et difficilement maîtrisable. Un mélange détonnant, rarement manipulé sans les risques de dégâts collatéraux et une brusque bousculade qui ne peut se dérouler sans heurts, d’autant plus que les actes de cette frénésie se sont joués sur une scène des plus sensibles et des plus fragiles, appelée littoral.
Effets douteux et craintes légitimes
Signe des temps. Moins de deux décennies après cette inflexion, le spectre de la problématique environnementale commence déjà à étaler ses voiles de craintes tandis que les premiers signes avant coureurs d’un hypothétique déséquilibre écologique se font de plus en plus ressentir au niveau des populations pour toucher par la suite la société civile et les milieux scientifiques.
Aussi, c’est au niveau de la mer, qui est placée sur les lignes avancées de ce front, qu’apparaissent les symptômes tant redoutés. « Une grande partie de la faune marine qui peuplait la côte a disparu irrémédiablement sans qu’on puisse pour autant en déterminer les causes. D’autres espèces comme les oursins, concombres de mer, ormo et palourdes sont sujets à de cruelles razzias et sans la moindre considération pour l’écosystème » s’indigne Raïss Allal. Selon ce marin, aujourd’hui à la retraite, il fût un temps où il n’était pas nécessaire de s’aventurer très loin pour faire pleine cale en poisson de grande qualité.
Cette même inquiétude est reprise avec plus d’acuité au niveau du secteur des algues. La densité de ce produit qui était autrefois très abondante, est passée de 6 kg/m2 en 2000 pour atteindre le seuil critique de 0,7 kg ces dernières années, selon des sources scientifiques. Des chiffres qui parlent d’eux même, et qui ont tendance à accuser des chutes plus terrifiantes encore, si l’on considère cette surexploitation qui dépasse toutes les limites de l’entendement: 8000 tonnes d’algues sèches déclarées, et plus que le double selon des observateurs avertis, en l’espace des trois mois où la cueillette est autorisée. « Malgré la grande régénération végétative du Gelidium, sa productivité d’une biomasse élevée est devenue très rare sur une grande partie du littoral, de même qu’il n’est plus possible d’atteindre cette algue qu’à des profondeurs élevées, alors qu’elle se trouvait à portée de main, à marée basse » nous confie le professeur Sabour Brahim qui est spécialisé en algologie et toxicologie aquatique.
Il est certain que les origines de tous ces maux si complexes soient-elles mettent toujours l’activité humaine et ses impacts en droite ligne de mire. De ce fait, tout nous ramène à notre nouveau mode de développement, à l’urbanisation galopante et ses influences directes qui ont pris des proportions jamais égalées, à la modernisation du secteur agricole qui s’appuie sur les pesticides et autres produits chimique de manière irraisonnée et surtout à l’inconscience de tous ces acteurs qui n’arrivent toujours pas à comprendre la gravité de la situation.
Aussi, serait-ce cela le lourd tribut que doit payer la nature pour nous supporter et légitimer notre développement économique ? El Jadida est-elle en droit de sacrifier une partie d’elle-même pour réaliser son rêve de plateforme industrielle d’envergure internationale ?
Moralité
Le littoral de cette province qui subit tous ces processus d’ordre environnemental dispose encore d’une large marge de sécurité qui appelle seulement à la recherche du juste équilibre. Et cela ne peut se traduire en concret que par le biais des technologies modernes en matière d’industrie et la limitation des effets destructeurs découlant de toutes les activités humaines existantes ou futures et surtout l’implication de la société civile dans la sensibilisation et des débats de réflexions.
Concernant ce dernier point, il nous serait difficile de soulever la problématique de la mer, sans nous remémorer cette fameuse journée de réflexion, organisée en Mai 2004, par l’association « Forum presse d’El Jadida » en collaboration avec la province, sous le thème très évocateur « El Jadida, la mer et le littoral : pour une ambition régionale » dont le but a été de dégager une vision plus claire, relative à la dimension que détiennent l’espace maritime et son littoral dans le développement socio-économique de la Région.
Aujourd’hui, sept ans après le déclenchement de ce projet/programme, nous constatons qu’El Jadida reste accrochée à cette même logique, celle de la centralité des espaces maritimes dans tout processus de développement socio-économique.
En reprenant le flambeau de la « Mer » comme thème fédérateur de sa rituelle semaine de l’environnement, l’Association des Doukkala ne fait que s’inscrire dans cette continuité qui est fondée sur une saine volonté et un grand sens du devoir moral ; deux invariables qui ont toujours marqué les activités de cette Association, que ce soit dans le domaine culturel, scientifique ou social. Et à notre sens, c’est à travers un tel effet « Boule de neige », qui fait appel à une convergence d’idées et d’élans volontaristes, que s’érigent les ambitions sociétales.
Il faut souligner qu’à certains niveaux de la Province d’El Jadida, cette ambition pour les affaires qui concernent la mer et son littoral n’a jamais été totalement occultée. Quoique timidement ou de manière sporadique, El Jadida n’a jamais cessé de formuler le désir de cet équilibre tant recherché qui pourrait servir de base solide à une éventuelle réconciliation entre son espace nourricier et les contraintes économiques qui lui sont imposé.
Au fait, lors d’une récente interview accordée à la revue « Villes du Maroc », le gouverneur de la province Mouâad Jamai ne tablait-il pas sur la priorité de la donne environnementale en prônant la réconciliation des industries lourdes et la production propre comme seul moyen de garantir un développement harmonieux, économiquement viable, écologiquement soutenable et socialement responsable ? Cela s’appelle aussi jouer la carte gagnant/gagnant.
Pour terminer, disons tout de même qu’une certaine vigilance reste fortement de mise, mais loin de cet alarmisme excessif et parfois gratuit. El Jadida a eu la chance de procéder à sa mue industrielle à une époque où la sphère environnementale s’est entourée de tout un arsenal de garanties, que ce soit au niveau national qu’universel. La charte de l’environnement à laquelle le pays a adhéré dès ses débuts, est aujourd’hui un passage obligé qu’on ne peut contourner impunément.
Répercutions sur la scène locale ? Quelques repères tangibles qui nous mettent en confiance quant à l’avenir environnemental d’El Jadida sont à souligner. On peut en citer : la régulation des rejets et émissions industriels, le schéma directeur de l’assainissement, l’interdiction du pillage des dunes de sable, la réhabilitation du petit port de pêche et surtout, l’attention particulière que le Souverain accorde à la mise à niveau du centre balnéaire de Oualidia et son complexe lagunaire qui est de nos jours en voie d’une couverture en document d’urbanisme par les instances du haut commissariat des eaux et forêts. Un document qui doit nécessairement prendre en compte la spécificité, voire la singularité de ce complexe des plus réputés dans tout le Pays.
Chahid Ahmed